CLASSIQUE - « Le Crépuscule des Dieux », à l’Opéra du Rhin

Fin d’un Ring

Publié le 07/03/2011
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Crédit photo : A. KAISER

ON A SUIVI avec passion la tétralogie de « L’Anneau du Nibelung », de Richard Wagner, mise en scène à l’Opéra du Rhin par David McVicar, l’étoile de la mise en scène lyrique britannique. Depuis le plus excitant « Or du Rhin » que l’on ait vu, cette réalisation étalée sur cinq saisons, singulière par le fait qu’elle était initialement programmée avec des chefs différents pour chaque journée, n’a cessé d’être un merveilleux livre d’images. Une production donnant autant à voir qu’à entendre et régie par l’impératif princeps et spécifique de la dramaturgie wagnérienne, l’alternance de l’urgence dramatique et du récit qui paraît longueur mais soude le tout en un fascinant chef-d’œuvre intemporel que l’humanité n’a pas fini d’explorer et d’interroger.

En ce qui concerne plus particulièrement ce « Crépuscule », on n’est pas prêt d’oublier l’image fortedu transport de la dépouille de Siegfried par les vassaux de la tribu de Hagen après son assassinat sur les bords du Rhin, l’hallucinante chorégraphie en forme de démonstration d’arts martiaux dans une esthétique japonisante à la samouraï, ou la force du fourbe serment entre Siegfried et Gunther. Et encore moins la saisissante beauté de la montée au bûcher de Brünnhilde avec son fidèle cheval Grane, humain enfin libéré de la fascinante armature métallique dans laquelle il était emprisonné depuis le début de l’action, soit quelques quinze heures aupavant !

McVicar a bénéficié tout au long de ce temps dramaturgique infini d’une fantastique équipe de figurants, acrobates, danseurs, et de l’éclairage à la grande beauté de la spécialiste incontestée et toutes catégories confondues du théâtre britannique, Paule Constable.

En finesse.

On retrouve avec bonheur des chanteurs des précédentes journées : le formidable Siegfried de l’Américain Lance Ryan, vaillant, rayonnant et, comme tous les interprètes de ce « Ring », doté d’une incontestable crédibilité physique. Le plus surprenant reste la métamorphose vocale de l’Américaine Jeanne Michèle Charbonnet, avec moins de stridence dans l’aigu et un vibrato plus resserré. Elle a été exemplaire de bout en bout et s’est tirée de la redoutable scène d’immolation avec brio et beaucoup d’émotion. Magnifique aussi, et tellement belle, la Gutrune de l’Allemande Nancy Weissbach, et surprenant d’autorité le Gunther de l’Américain Robert Bork. Le chef slovène Marko Letonja, futur directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, revient, après sa « Walkyrie » de 2008, pour donner une interprétation toute en finesse de cette dernière journée à la tête d’un orchestre et d’un chœur métamorphosés.

Mais tout cela ne va pas sans une navrante constatation. Il semble que ce « Ring », entrepris sous le précédent directorat de Nicholas Snowman mais s’achevant sous celui de Marc Clameur, non conçu dès le départ comme une coproduction avec d’autres scènes lyriques, ne serait repris sous aucune forme sur la scène de l’Opéra du Rhin. Comme il n’a pas été filmé, sa viabilité semble s’arrêter là, ce qui, pour une production aussi coûteuse mais surtout aussi réussie, s’agissant à notre humble avis au pur plan théâtral du meilleur « Ring » réalisé depuis celui de Patrice Chéreau à Bayreuth entre 1976 et 1980, cette fin glorieuse cohabite avec un arrière-goût de triste gâchis.

Opéra du Rhin (tél.03.88.75.48.00 et www.operanationaldurhin.eu). Dernières représentations à Strasbourg le 12 mars puis à La Filature de Mulhouse les 25 et 27 mars.

OLIVIER BRUNEL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8917