Grandeur et décadence d’une jeune cadre ambitieuse : tel est le propos de « la Jeune Cadre dynamique qui voulait conquérir le monde » (1), premier roman de Camille Cordouan, 32 ans, qui a quitté son Sud-Ouest natal pour travailler à Paris. Dans le récit, la jeune héroïne arrive dans une grande entreprise du CAC 40 avec le titre de Process and Cross Functionnal Expert. Forte de ses diplômes acquis aux États-Unis, de ses compétences affûtées lors d’un stage en Chine et de son énergie, elle se donne cinq ans pour imposer son nom, Behnaz Belmadi, et son talent. C’est sans compter avec les petites cruautés et les grandes injustices du monde de l’entreprise, la mollesse de l’un, le mal-être chronique d’une autre, la jalousie de sa supérieure directe ou la misogynie d’un voisin de couloir, le tout décrit avec un humour noir implacable.
L’entreprise et l’extraordinaire comédie humaine que constitue la vie au travail sont au cœur du premier roman du Texan J. Bradford Hipps, qui a abandonné ses fonctions de programmeur informatique pour se tourner vers l’écriture. Dans « l’Aventuriste » (2), Henry Hurt est un chef de service, dans une boîte informatique, qui aime son boulot et le fait bien, qui est sympa avec ses collègues devenus des amis et qui flirte avec la belle Jane du Marketing. Mais la pression monte, l’augmentation tarde, un contrat se perd, sa famille et sa ville lui manquent… Au-delà d’un simple roman sur l’entreprise, ce conte philosophique montre un homme à la croisée des chemins, coincé entre aspirations professionnelles et envies de retrouver ce qu’il aime vraiment.
« La Dernière Photo » (3) illustre ce propos. Franck Courtès (auteur d’un recueil de nouvelles remarqué, « Autorisation de pratiquer la course à pied », et de deux romans) a été photographe de presse pendant vingt-six ans. Autant d’années de passion, de voyages autour du monde et de rencontres avec des personnalités diverses, qu’il évoque avec force anecdotes. Jusqu’à ce qu’en 2011, le dégoût du star-system, les exigences de plus en plus délirantes des célébrités comme des patrons de presse, les fins mercantiles des portraits de presse et l'avènement du tout-numérique le fassent renoncer à son métier. Mais, souligne-t-il, ayant failli se perdre lui-même, il s’est retrouvé dans l’écriture.
Éloges de la liberté
Pour illustrer sa dénonciation du monde du travail, Arnaud Le Guilcher a choisi la fantaisie. Le héros de « Du tout au tout » (4), qui s’appelle Pierre Pierre, a pour particularité de savoir débusquer l’artiste authentique. Embauché par César De La Mer, mécène d’une arche de Noé de créateurs en tous genres, il est chargé de trouver pour sa société Poséidon une voix qui le ferait fondre. Mais les cartes changent de main, Oscar De La Forge rachète Poséidon et la transforme en Vulcain, l’arche devient galère et un enfer de notes de service, de contrats pro, d’horaires infinis, de pression, de résultats. Une satire amusante de l’entreprise et un plaidoyer poétique en faveur de la liberté de création.
Odile d’Oultremont nous installe pour sa part carrément dans « les Déraisons » (5) ! Avec le coup de foudre improbable, à l’aube de la quarantaine, entre Adrien le sage, qui travaille pour assurer le quotidien, et Louise l’artiste, ouvrière qualifiée de l’imaginaire. Après dix ans de bonheur en équilibre parfait, les médecins trouvent des tumeurs dans les poumons de Louise et Adrien est exilé par un plan social aux confins d’un couloir sans téléphone ni ordinateur. Alors, tandis que la jeune femme fantasque redouble d’optimisme et d’inventivité, l’employé modèle s’enfuit de son « placard » pour accompagner sa belle et fait fi des règles qu’il avait jusque-là respectées.
Avocate en droit du travail le jour, qui écoute les clients et décrypte la réalité de leur combat et leur sincérité ou, à l’inverse, perçoit leurs mensonges et leur mauvaise foi, la narratrice de « Clientèle » (6) est le soir une femme, une amoureuse et une mère, qui devient à son tour une cliente, sollicitant un regard, un service ou une idée. Cécile Reyboz, elle-même avocate en droit du travail, a composé son roman comme un diptyque pour dessiner un portrait du monde salarié ayant pour toile de fond le développement de la consommation qui fait de chacun de nous le client de l’autre, avec des rapports d’argent, de force, d’images et de dépendances. Pour elle, les voies toutes tracées de la vie, celles de nos professions ou de notre intimité, sont faites pour s’entrechoquer.
(1) Robert Laffont, 222 p., 18 €
(2) Belfond, 344 p., 21 €
(3) JC Lattès, 301 p., 19 €
(4) Robert Laffont, 320 p., 19,50 €
(5) Éditions de l'Observatoire, 217 p., 18 €
(6) Actes Sud, 200 p., 19 €
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