Après un lancement parfaitement orchestré – le titre et le sujet de « Sérotonine » (1) ont été tenus secrets jusqu’à la semaine précédant sa mise en vente, le 4 janvier – le nouveau roman de Michel Houellebecq est considéré comme le livre événement de la rentrée. Plusieurs éditeurs ont d’ailleurs choisi de retarder les sorties des ouvrages d’autres poids lourds afin que « Sérotonine » ne leur porte pas ombrage. On le craindrait en effet au vu des précédents succès des livres à polémiques qui se sont succédé : « Extension du domaine de la lutte » (1994), « les Particules élémentaires » (1998, prix Novembre), « Plateforme » (2001), « la Possibilité d’une île » (2005, prix Interallié), « la Carte et le Territoire » (2010, prix Goncourt) et « Soumission » (2015).
Paru le jour de l’attaque contre « Charlie Hebdo », « Soumission », qui met en scène un pays islamisé après une victoire politique de l’islam en France en 2022, s’est écoulé à près de 800 000 exemplaires. « Sérotonine », qui sort avec le confortable premier tirage de 320 000 exemplaires, devrait bénéficier de l’intérêt suscité par les dernières manifestations et revendications populaires des Gilets jaunes. Non pas que Michel Houellebecq appelle à la révolte, loin de là, car il se plaît à mettre en scène l’antihéros le plus désenchanté et déprimé qui soit, perdu dans un monde sans bonté, vaincu par le libéralisme économique et la faillite de l’amour, et qui ne survit qu’à doses répétées d’un antidépresseur à base de sérotonine. Le tableau qu'il donne de notre société et de l'homme n'est pas réjouissant.
Ingénieur agronome de 46 ans, Florent-Claude Labrouste a quitté Monsanto pour œuvrer dans les hautes sphères du ministère et s’y perdre : en même temps qu’il perd ses illusions sociales (ni les fromagers de Normandie, ni les producteurs de lait et autres agriculteurs ne peuvent rien contre la politique libérale de l’Union européenne et le rouleau compresseur mondial), le malheureux perd tour à tour les femmes qui l’ont aimé et qu’il a aimées, mal ou pas assez. Yuzu, Kate, Claire et surtout Camille donnent au roman, sur ce fond social et rural, un ton intimiste et quasi romantique.
Le livre n'est cependant pas un long fleuve tranquille et le lecteur, tout amical qu'il soit, s'agace parfois des innombrables considérations dont Michel Houellebecq, incorrigible amateur de pics et saillies en tous genres, truffe son roman. Le monde entier est passé à la moulinette de sa pensée vagabonde, entre lieux communs, ressenti personnel et provocations assurées (pornographie, pédophilie, zoophilie…). On a parfois l’impression d’être au café du commerce à côté d’un voisin de comptoir trop bavard… mais aussi drôle et insolent !
Finalement on ne s’ennuie pas dans ce bazar à la double ossature sociale et sentimentale – où la grande obsession du narrateur-auteur est de trouver une chambre d'hôtel qui accepte les fumeurs ! –, car on y trouve assez de matière pour en discuter autour d’un café…
Dormeur à gages
Alors que Michel Houellebecq, 62 ans, fait partie des chevaliers de la Légion d’honneur nommés au 1er janvier, l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, 71 ans, porte la croix d’officier depuis 2007 (vingt années après avoir reçu le prix Goncourt pour « la Nuit sacrée »). Il a publié depuis de très nombreux ouvrages, tous genres confondus, et surprend aujourd’hui avec « l’Insomnie » (2), un roman d’humour noir qui trouve ses racines dans sa propre vie.
« J’ai tué ma mère. Un oreiller sur le visage… Ensuite j’ai dormi, longtemps, profondément. » : tout est dit dans cette première phrase du narrateur, qui découvre un jour que tuer le délivre de l’insomnie qui lui gâche la vie. Mais après que le meurtre de la maman lui a octroyé près de douze mois de repos, il lui a fallu trouver d’autres victimes. Personnes âgées dans les services de soins palliatifs, accidentés dans les urgences des hôpitaux, Alzheimer avancés, tout est bon pour ce scénariste de profession, habitué à écrire des histoires de meurtres bien ficelées. Les choses s’emballent lorsque, après avoir occis, par souci de justice, un ancien tortionnaire du régime d’Hassan II, il s’aperçoit que plus le mort est important, plus il capitalise de « crédits de sommeil ». Il s’attaque alors aux puissants de ce monde, trafiquants, banquiers, oubliant qu’à tout instant, une erreur de scénario peut tout faire basculer.
Pourquoi cet amusant roman ? Il fait suite à « la Punition », un ouvrage paru l'année dernière, dans lequel Tahar Ben Jelloun racontait, cinquante ans après les événements et alors qu’il était étudiant en philosophie, son emprisonnement dans une caserne marocaine avec d’autres jeunes pour le simple fait d’avoir participé à une manifestation pacifiste ; les 19 mois de maltraitances physiques et psychologiques qu’il a subies l’ont rendu insomniaque.
(1) Flammarion, 347 p., 22 € (2) Parution le 10 janvier, Gallimard, 260 p., 20 €
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