Hommage à Cathy Berberian

Magnificathy

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Publié le 12/09/2016
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Cl-Folk songs

Cl-Folk songs

« Magnificathy », c’est ainsi que la surnommait le compositeur italien Luciano Berio, dont elle fut l’épouse et la muse. La cantatrice a inspiré bien d’autres compositeurs : Igor Stravinsky, John Cage, Sylvano Bussotti, Bruno Maderna, Hans Werner Henze, Henri Pousseur. Et elle eut d’autres surnoms, dont le plus célèbre reste « la Callas sérielle ».

Ceux qui n’ont jamais vu Cathy Berberian sur scène ne peuvent avoir idée de l’énergie que dégageait cette élégante femme, née américaine de parents arméniens exilés après le génocide de 1915. Son répertoire extrêmement étendu visait toujours à la nouveauté, mais elle excellait aussi dans la musique ancienne italienne et c’est elle que Nikolaus Harnoncourt avait choisie pour son premier cycle d’opéras de Monteverdi (elle est Messagiera et Sperenza dans « l’Orfeo » et Ottavia dans « le Couronnement de Poppée »).

Pendant des années la cantatrice a défendu les grandes œuvres vocales de Berio et des compositeurs de Darmstadt. Jusqu’à ce qu’en 1977 une crise vocale l’oblige à réduire cette activité. C’est ainsi, comme on l’apprend dans la biographie que Marie-Christine Vila lui a consacrée (« Cathy Berberian, Cant’actrice », Fayard, 2003), qu’elle mit au point un certain nombre de récitals, souvent avec la complicité du pianiste Bruno Canino, ayant comme thème la musique américaine, la musique folklorique du monde, la mélodie française, ou « de Monteverdi aux Beatles »…

Elle renoue ainsi avec une aventure de la fin des années 1960, quand elle avait chanté au Carnegie Hall de New York, en remplacement d’une œuvre contemporaine annulée, trois chansons des Beatles. Le goût de la provocation était né, une douce provocation qui consistait à « réintroduire le rire dans les salles de concert » et n’a jamais quitté cette chanteuse inclassable. Elle fit même ensuite harmoniser dans le plus pur style opératique douze chansons du groupe anglais par le compositeur néerlandais Louis Andriessen, « pour faire aimer la musique des Beatles aux parents ».

Ce n’est malheureusement pas les arrangements d'Andriessen (il refusait de payer des droits aux Beatles) qui figurent dans l’enregistrement que Cathy Berberian fit pour Philips, un grand succès en 1966, mais un arrangement anonyme dont la rumeur a longtemps circulé qu’il était de Berio… Longtemps introuvable, car inexplicablement jamais réédité par Philips, cet album a aujourd’hui une valeur considérable. Paru sous les titres de « Revolution » puis « Beatles Arias » (respectivement sous les labels Mercury et Fontana), il a été réédité sur CD en 2004, agrémenté d’une croustillante interview (1 CD ADD Telescopic, distribution Discograph).

Un trésor

Dernière nouvelle : le récital « Folk Songs of the World », enregistré en 1978 à Stuttgart par la firme allemande SWR Music, reparaît remastérisé avec le même bonheur après des années de disparition, avec une passionnante notice bilingue. Cathy Berberian y interprète, avec une voix un peu diminuée mais un talent caméléonesque, un choix de chansons d’origines populaire ou religieuse, presque toutes harmonisées avec soin par des compositeurs ou arrangeurs célèbres. Elle avait dès 1964 créé des arrangements, par son mari, de dix chansons du folklore mondial, les célèbres « Folk Songs », qui sont aujourd’hui au répertoire de nombreux sopranos.

Le pianiste anglais Harold Lester l’accompagne avec une extraordinaire versatilité dans un répertoire qui comporte des mélodies hongroises arrangées par Bartók, de désopilantes chansons américaines revues par Aaron Copland, des chansons en yiddish, du folklore suisse allemand, du folklore russe-gitan, du folklore vénitien recomposé par Beethoven. La cantatrice polyglotte excelle dans toutes les langues (seize en tout), dont le finnois, le croate, le bulgare, l’espagnol, le chinois…

Cet enregistrement est un trésor dont on se réjouit de la réédition, en espérant voir réapparaître bientôt les récitals de musique américaine (« Cathy canta l’America ») et arménienne, ses merveilleuses « Second Hand Songs » ou encore « À la recherche de la musique perdue ». 

 

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin: 9516