« On ne prend pas en charge les prédictions des voyantes. »
Dans cette salle de consultation de l'hôpital Saint-Joseph, établissement privé à but non lucratif du sud de Paris, le médecin reçoit, consterné, une patiente à qui une diseuse de bonne aventure a diagnostiqué un cancer de l'estomac. La journaliste Minou Azoulai raconte la scène, aussi cocasse qu'affligeante, dans son dernier livre. « Ne tirez plus sur l'hôpital »* est le fruit d'une immersion de plusieurs mois à Saint-Joseph, dans les services de médecine, au bloc, dans les cuisines où « la pâtée pour chat » n'est jamais très loin, dans « le monde à part de la réa », aux urgences.
Chaque paragraphe, court, dense, de l'ouvrage permet de cerner de près le quotidien des soignants, dont le dévouement et l'implication se retrouvent page après page. Stéphane, le brancardier au SMIC, travaille à l'hôpital pour « quelque chose de plus fort que l'argent ». Chantal, l'infirmière référente dont le téléphone sonne toutes les deux minutes, soigne dans une ambiance « solidaire » et « réjouissante ». Elle et d'autres se retrouvent parfois aux « pauses-café » dans une petite salle de repos, lieu privilégié pour le « lâcher prise » dont ils ont tous besoin, tant « l'ascenseur émotionnel » fonctionne à plein régime.
Usine à soins
Minou Azoulai raconte aussi la digitalisation de l'hôpital, cerné par les robots, les applis, les logiciels et les ordinateurs ! « Si je devais faire une seule photo de l'hôpital d'aujourd'hui, ce serait celle-ci : une femme en blouse blanche trônant près du bras numérique (et armé) de l'administration, l'ordinateur, écrit-elle. Oubliés le cliché du médecin avec son stéthoscope, l'infirmière tenant sa seringue ou son pilulier. »
Le travail des médecins s'en trouve bouleversé, pour le meilleur et pour le pire. « Le numérique est chronophage, on doit rendre des comptes en permanence, lire et gérer les mails, raconte le Dr Jérôme Loriau qui, à peine le scalpel posé après une sleeve gastrectomie, se lance dans l'écriture du compte rendu opératoire, debout, en plein bloc, faute de temps. On n'a pas d'assistante […] Nous connaissons des moments où c'est le branle-bas de combat, à cause de la course à la rentabilité. Souvent je m'insurge, car on ne vend pas des bagnoles. Je ne suis pas toujours entendu. »
Parfois aussi, des médecins seniors sont mis à pied, des jeunes en CDD sont congédiés. Des anesthésistes tournent entre deux ou trois blocs en même temps. Aux urgences, « l'usine à soins » peut passer, un lundi matin en deux heures, de trois patients – dont deux SDF endormis – à un service saturé et des guichets d'accueils « assiégés ». C'est le quotidien de Saint-Joseph et c'est aussi celui de bien d'autres hôpitaux français.
Minou Azoulai, « Ne tirez plus sur l'hôpital, La vraie vie des soignants et des patients », préface de Michel Cymes, eds. Hugo, coll. New life, 231 p., 17 euros, janvier 2019.
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