Musique et danse à Berlin

Triomphe au Musikfest

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Publié le 19/09/2016
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Cl-Berlin

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Crédit photo : BETTINA STOESS

Fidèle à une programmation originale et renouvelée, le Musikfest Berlin a inauguré son édition 2016 avec « Tutuguri », une œuvre de Wolfgang Rihm d'après Antonin Artaud. Ouverture au grand public, aussi, avec le très populaire John Wilson Orchestra, qui faisait ses débuts en Allemagne avec un concert de morceaux des films musicaux de la MGM, à l'issue duquel on a vu Simon Rattle prendre ses baguettes de timbalier pour participer à une valse endiablée.

Les orchestres américains se font rares actuellement en Europe et, à trois exceptions près, ce sont des formations germaniques qui se sont produites à la Philharmonie de Berlin. Dont les trois phalanges bavaroises. Surprise, pour le premier concert vedette, celui des Münchner Philharmoniker dirigés par leur nouveau chef permanent Valery Gergiev, la salle était clairsemée. Le programme avait pourtant de quoi attirer un public averti, avec deux œuvres emblématiques du répertoire du maestro petersbourgeois, la « Troisième Symphonie » de Galina Ustwolskaja (1919-2006) et la « Quatrième Symphonie » de Dmitri Chostakovitch. Deux œuvres aux antipodes dans leur écriture, celle de Chostakovitch allant dans le sens du fantasme de la formation symphonique de très grande envergure des compositeurs de la fin du XIXe, celle d'Ustwolskaja pour 23 instruments et récitant, qui ne dure qu'une quinzaine de minutes, allant plutôt dans celui de l'économie des compositeurs de la Seconde École viennoise. Mais quelle force dans cette économie et cela dès le début, avec les versets du bénédictin Hermann von Reichenau, écrits au XIe siècle, déclamés avec un sens tragique exemplaire par le célèbre comédien russe Alexei Petrenko. Œuvre magnifique, d'une grande tension dramatique, à laquelle Gergiev restitue son austérité et l'absence de tout effet extérieur à sa richesse plus rythmique qu'harmonique.

La réussite du DOB

Parmi les six phalanges de la capitale allemande qui se sont succédé lors du festival, l'Orchestre du Deutsche Oper Berlin (DOB), avec un concert exceptionnel par son programme et sa qualité. En regard du premier acte de « la Walkyrie » de Wagner figurait une œuvre d'un compositeur obscur du XXe siècle, le Danois Rued Immanuel Langgaard (1893-1952). Sa « Musique des sphères » pour trois solistes vocales, chœur, orgue et orchestre, créée à Karlsruhe en 1921, exploite l'idée d'une expérience quasi sensuelle, visant à la fusion entre musique et des thèmes ayant trait à la nature, la religion, le symbolisme et les sciences. La réalisation de cette restitution était exemplaire et l'œuvre a remporté un triomphe.

Pas autant cependant que « la Walkyrie », car le public n'avait d'yeux et d'oreilles que pour la magnifique Sieglinde d'Anja Harteros. Idole absolue du public munichois, avec sa plastique sculpturale et sa voix à la technique et au timbre parmi les plus somptueux du moment, elle a chanté avec un lyrisme et une intensité admirables. Si elle a reçu la part de triomphe qui lui revenait, le public a chaudement félicité l'ensemble des forces qui ont porté ce concert à ce haut degré d'intérêt et de réussite.

Une chorégraphie exemplaire

Alors que sa chorégraphie historique de « Roméo et Juliette » est reprise à guichets fermés au Deutsche Oper Berlin, le maire de la ville vient d'annoncer la nomination de Sasha Waltz à la tête du Staatsballett Berlin en 2019. Créé à l'Opéra de Paris en octobre 2007, ce formidable spectacle sur la symphonie dramatique de Berlioz n'a pas pris une ride. Après être passée par le Teatro alla Scala de Milan, cette chorégraphie est entrée au répertoire du DOB.

La danse y reste à un niveau superlatif et les danseurs de la très internationale compagnie Sasha Waltz & Guests n'ont rien à envier aux créateurs du Ballet de l'Opéra de Paris. Le Cubain Joel Suàrez Gómez (Roméo), la Malgache Zaratiana Randrianantenaina (Juliette) et le Vénézuélien Orlando Rodriguez (Frère Laurent) étaient à un niveau technique et d'inspiration que peuvent leur envier les grandes compagnies européennes et américaines.

La chorégraphie de Sasha Waltz reste un exemple de ce que l'on peut faire de mieux avec un substrat littéraire sans être illustratif au pied de la lettre. Certaines images de groupe sont inoubliables et la trouvaille des plans inclinés articulés, si elle a été ensuite imitée, reste sans rivale. De même n'a-t-on jamais vu autant de grâce et de folie contenue.

www.berlinerfestspiele.de

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin: 9518