CLASSIQUE - Carte postale lyrique de Londres

Une « Damnation » coup-de-poing

Publié le 06/06/2011
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Crédit photo : T. KENTON

À GLYNDEBOURNE, la saison a commencé avec « les Maîtres chanteurs de Nuremberg », réalisés par le metteur en scène vedette David McVicar. Sa version, transposée dans les années de la jeunesse de Wagner, la fin du romantisme allemand, avec son esthétique Biedermeier, et pris au pied de la lettre avec une approche psychologique très fine et un réel sens humoristique, est une réussite théâtrale. Pour le chant, on est plus loin du compte, car aucun des chanteurs distribués n’a la typologie vocale requise, à l’exception du Beckmesser de Johannes Martin-Kraenzle, alors que palissaient l’Eva d’Anna Gabler, le Walther de Marco Jentzch et même Gerald Finley, Hans Sachs bien peu crédible, tant physiquement que vocalement. Le meilleur était dans la fosse, avec un London Philharmonic Orchestra galvanisé par Vladimir Jurowski (dont on sait maintenant qu’il ne renouvellera pas son mandat de directeur musical de ce festival), autant dans les aspects les plus sombres que comiques de cette œuvre complexe.

Gilliam et le nazisme.

Il y a encore quelques décennies, on déclarait volontiers impossible à mettre en scène « la Damnation de Faust », confinée au concert. Récemment, quelques metteurs en scène ont prouvé le contraire, comme Harry Kupfer (Amsterdam, 1993), La Fura del Baus (Salzburg, 1999) et Robert Lepage (Paris, 2008). Celle de Terry Gilliam, sa première mise en scène lyrique, pourrait bien les éclipser toutes. Il fait coller très brillamment le vieux mythe goethéen revu par Berlioz aux épisodes de l’histoire allemande qui ont changé la face du monde, de la fin de la première guerre mondiale à l’apocalypse finale de la deuxième. De la victoire de la Prusse impériale au son de « la Marche hongroise » au partage du gâteau européen, des prémices de la montée du nazisme, avec les chemises brunes et les couplets antisémites du Rat et de la Puce de Brander et Méphisto à la taverne d’Auerbach, jusqu’à la Nuit de cristal et Auschwitz, où les mène la chevauchée de « la Course à l’abîme », on comprend vite à quel étrange meneur de jeu Faust a vendu son âme, afin de courtiser Marguerite, jeune juive berlinoise qui se cache sous une perruque blonde. Résumé ainsi, le procédé peut paraître abrupt et facile. C’est sans compter l’extrême habileté de Gilliam et l’hallucinante minutie du réglage de la direction de la moindre silhouette.

Cette lecture aux images parfois dérangeantes fait l’effet d’un coup-de-poing dans l’estomac. Hormis le fait, choquant à nos oreilles françaises, que la pièce soit chantée en anglais, c’est musicalement une grande réussite. Edward Gardner aurait pu profiter de l’occasion pour une direction moins sage, le chœur maison était superlatif, la distribution parfaite. À commencer par la Marguerite de Christine Rice, avec « la Ballade du roi de Thulé » et la romance « D’amour l’ardente flamme » magnifiquement interprétées et colorées. Le Faust de Peter Hoare était aussi très poétique. Christopher Purves, Méphistophélès, acteur étonnant passant si aisément de la caricature au plus grand sérieux théâtral, est aussi un excellent baryton, qui se tire à merveille des parties basses du rôle. Un grand spectacle à l’actif de la deuxième scène lyrique londonienne.

On n’en dira pas autant de leur nouvelle production signée par l’Américain Christopher Alden du « Songe d’une nuit d’été », absurdement transposé dans un pensionnat de garçons anglais dans les années 1960, dont la mise en scène consiste à faire cadrer la pièce de Shakespeare, génialement mise en musique par Britten, avec un maximum de fantasmes, entre autres sexuels, se référant à l’abondante mythologie des collèges anglais. Peu de surprise musicale, sinon la direction très soignée de Leo Hussain et l’excellent jeune contre-ténor Lestyn Davies dans le rôle d’Oberon.

English National Opera (+44(0)871.911.0200 et www.eno.org) : dernières représentations le 7 juin (Damnation) et 30 juin (Songe). Prochains spectacles : « Simon Boccanegra » de Verdi du 8 juin au 9 juillet et « Two Boys », création de Nico Muhly du 24 juin au 8 juillet.

> OLIVIER BRUNEL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8976