Drames, roman de formation, portrait d'une génération...

Une jeunesse en détresse

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Publié le 12/09/2016
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L-The Girls

L-The Girls

L-Soyez imprudents les enfants

L-Soyez imprudents les enfants

L-D'où viennent les vagues

L-D'où viennent les vagues

L-California Girls

L-California Girls

L-L'Incandescente

L-L'Incandescente

L-Tropique de la violence

L-Tropique de la violence

L-Les Animaux sentimentaux

L-Les Animaux sentimentaux

L'horreur et la fascination par deux fois : Simon Liberati (prix Femina pour « Jayne Mansfield ») dans « California Girls » (1) et Emma Cline, dans son premier roman, « The Girls » (2), reviennent sur les cinq assassinats abominables – dont celui de Sharon Tate, l'épouse de Roman Polanski, enceinte de huit mois –, commis dans une villa hollywoodienne en août 1969 par trois très jeunes filles de la « Famille » Manson. Un carnage dément qui a signé la fin de l'utopie des Sixties et du Flower Power et que la drogue à haute dose et l'emprise d'un gourou ne suffisent pas à expliquer.

Pour analyser cette danse macabre, la jeune Américaine a choisi la fiction et une approche psychologique : les fractures de l'adolescence et la place des femmes dans la société. Tandis que Simon Liberati aligne les détails les plus âpres pour aller jusqu'aux origines du Mal, s'immisçant dans la tête des tueuses pour reconstituer leurs parcours et leurs pensées. Trente-six heures et trois actes d'un hyperréalisme halluciné, qui laisse horrifié et désemparé.

Nathacha Appanah, née sur l'île Maurice de parents indiens et qui vit en France, a séjourné à Mayotte entre 2008 et 2010 puis y est revenue avant d'écrire son sixième roman, « Tropique de la violence » (3). Entre onirisme et réalisme, l'histoire est celle de Moïse, un enfant abandonné sur l'île française par une jeune Comorienne dans l'espoir qu'il y trouve un meilleur destin et qui, à 15 ans, à la mort de l'infirmière blanche qui l'a recueilli et élevé dans des conditions confortables, se retrouve dans la rue et tombe sous la coupe d'un chef de bande. Son histoire se découvre, avec parfois des voix d'outre-tombe, à travers les mots des différents protagonistes (le garçon, sa mère adoptive, le chef de gang du bidonville, un humanitaire et un policier) après que le drame a été consumé. Campé dans des paysages grandioses, le récit se lit comme une tragédie des temps modernes dans laquelle les jeunes sont les premières victimes de l'abandon qui caractérise ce coin de France.

Secrets et mensonges

La découverte d'un tableau peut-elle modifier le cours d'une vie ? Oui, si l'on en croit Véronique Ovaldé (« Ce que je sais de Vera Candida ») et son héroïne, qui, après avoir vu « Mon corps mis à nu » à l'âge de 13 ans, n'a de cesse de se découvrir à son tour et de prendre son destin en mains, en suivant la consigne de la famille Bartolome, dont elle est l'ultime rejeton, « Soyez imprudents les enfants » (4). Après la mort de son père et l'expérience de l'homme, elle part à 18 ans sur les traces du peintre qui a choisi de disparaître, une enquête qui la conduit vers son village natal d'Uburuk, en Espagne, où sa grand-mère lui racontait l'histoire de ses ancêtres. La famille et la lignée sont au cœur de ce roman de formation, avec tout ce que cela suppose de hauts et beaux faits mais aussi de secrets et de mensonges dont il faut s'accommoder.

Après « Elles vivaient d'espoir » en 2010, qui relatait les relations d'Emma et de Thérèse, Claudie Hunzinger s'attache aux liens d'amour qui ont uni Emma et Marcelle, à travers les lettres envoyées par cette dernière, fille de feu et gamine fatale qui en a ensorcelé une autre. « L'Incandescente » (5) n'est cependant pas un roman épistolaire, car l'auteure y mêle une narratrice, la fille d'Emma, qui raconte les à-côtés des lettres, ce qu'il s'est passé pendant qu'elles étaient ensemble et ce qu'il advint après la fin de leur correspondance. Marcelle avait 16 ans, en 1923, lorsqu'elles se sont rencontrées ; elles fréquentaient une école normale pour devenir institutrice ; la tuberculose a marqué leur destin. Jusqu'à « la séparation entre deux univers impénétrables, celui de la raison et celui de la féerie ». Mais l'histoire n'est pas terminée pour autant.

Finaliste du prix Strega et lauréat du prix Strega des lycéens 2015, « D'où viennent les vagues » (6), de Fabio Genovesi, a séduit l'Italie. On le comprend en lisant ces chroniques pleines de tendresse qui racontent des instantanés de vie de plusieurs personnages à Forte dei Marmi, une station balnéaire de la côte toscane. Autour de Luna, une albinos de 13 ans, et de son frère Luca, un sublime surfer blond, évoluent leur mère Serena, qui, pour repousser les hommes, dit qu'elle a le sida, un enfant rescapé de Tchernobyl, un professeur obligé, comme trois de ses amis quadragénaires, de vivre encore chez ses parents alors que les retraités étalent leurs avantages et que les milliardaires russes n'en finissent pas d'acheter le bord de mer. Une assemblée de gentils, abîmés par la vie, que l'auteur décrit avec humour et même optimisme.

La solitude au temps d'Internet

Cédric Duroux frappe fort pour son premier roman, « les Animaux sentimentaux » (7), qui brosse le portrait d'une génération, les vingtenaires, qui a du mal à trouver ses repères dans un monde hyperconnecté. Il y a Olivier, drogué au sexe sur Internet et qui ne sort pas de chez lui ; Samuel, qui redoute d'annoncer son homosexualité à sa famille et se réfugie chez Anthony, un ami peut-être imaginaire ; et Lily, qui doit face seule à une grossesse accidentelle. Ils sont trois images du mal-être éternel de la jeunesse en même temps que l'illustration de l'ultramoderne solitude à une époque où « les écrans se touchent autant que les peaux ». Avec une écriture qui navigue sans souci entre l'anglais et le français, le virtuel et le réel, avec des références constantes à la musique et un ton très actuel, ce roman vrai et cru devrait trouver son lectorat.

 

 

(1) Grasset, 337 p., 20 €
(2) La Table Ronde, 331 p., 21 €
(3) Gallimard, 175 p., 17,50 €
(4) Flammarion, 343 p., 20 €
(5) Grasset, 304 p., 19,50 €
(6) JC Lattès, 466 p., 22 €
(7) Buchet-Chastel, 369 p., 18 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9516