Être auditionnée au Sénat… Je n’aurais jamais cru que cela m’arriverait un jour. Et pourtant, il y a quelques mois, je bravais les grèves pour me rendre dans l’un des plus beaux lieux de la République française.
La santé des femmes au travail dans les métiers du « care », telle était ma planche. Nous avions abordé le sujet avec les Femmes de santé, lors de nos deux États généraux, les premiers sur la place de la femme dans le secteur professionnel de la santé et les seconds sur la santé des femmes… Me voici donc enfourchant ma bicyclette (à défaut d’enfourcher le tigre) pour rejoindre le jardin du Luxembourg. Je franchis la porte gardée, me perds évidemment pour finir par trouver un huissier fort aimable qui me conduit jusqu’à la salle d’audience. Là, les autres personnes auditionnées (nous sommes quatre, toutes de femmes d’ailleurs) sont déjà installées. Arrivent ensuite Annick Billon, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, ainsi que les rapporteuses, citoyennes élues, des femmes de poigne. L’ambiance est informelle, gaie, souriante… Jusqu’à ce que la séance commence, guidée par des règles strictes que, avouons-le, j’ignorais.
Chacune ayant prérédigé son allocution, nous parlons à tour de rôle, dans un flot construit de paroles réfléchies. Derrière nous, la greffière tape avec frénésie sur son clavier d’ordinateur portable… Les questions sont ensuite posées les unes à la suite des autres, par des sénatrices respectueuses et affûtées. Et nous avons deux minutes chacune pour y répondre, en une fois également. Pas d’allers-retours, comme je le croyais, pas de discussion… Enfin, le temps pressant certaines sénatrices, en retard pour voter dans leur hémicycle, la séance est levée. Nous repartons, comme si rien ne s’était passé, mon fidèle destrier à pédales m’attendant sagement aux marches du palais.
Un miroir à double face
Quelques mois plus tard, arrive enfin le rapport, adopté, le mardi 27 juin 2023. Son titre en dit long : « Santé des femmes au travail : des maux invisibles ». Laurence Cohen, Annick Jacquement, Marie-Pierre Richer et Laurence Rossignol n’ont pas mâché leurs mots (si je puis me permettre le jeu de mots/maux justement). Leur constat ? Un miroir double face : les répercussions du travail sur la santé des femmes sont encore largement méconnues. Et inversement, la santé des femmes est encore trop ignorée dans le monde du travail.
Joie, de voir enfin s’effondrer officiellement la frontière entre santé de la femme et travail. Secteur Santé, la lumière est enfin faite sur le manque de reconnaissance de la charge physique (qui porte des charges supérieures à 25 kg) chez les soignantes et les aides-soignantes, le manque de reconnaissance de la charge mentale, dense dans le métier du Care, sur les violences sexistes et sexuelles réelles en milieu hospitalier, et encore trop ignorées alors que la loi impose aux employeurs une prévention et une protection de leurs salarié.e.s. Les conditions de travail ont des conséquences sanitaires sur les femmes. 60 % des personnes atteintes de troubles musculosquelettiques sont des femmes, les risques de cancer du sein s’accroissent de 26 % quand on exerce un travail de nuit, des agents cancérigènes reconnus sont présents dans les produits d’entretien… Développer une prévention en faveur des femmes au travail est une nécessité, ce n’est pas un choix politique.
Quant à la santé des femmes, sa connaissance et sa reconnaissance, dans le monde du travail ? Il faut prendre en compte les pathologies menstruelles incapacitantes et les symptômes ménopausiques, notamment. Le plan endométriose y participe mais le sujet reste complexe car encore tabou ou banalisé.
Encore un long chemin à parcourir
Le constat est là. Le chemin à parcourir reste encore trop long. « Chausser systématiquement les lunettes du genre » pour reprendre les mots des sénatrices est désormais primordial. Plusieurs recommandations du rapport du Sénat sont proches de celles élaborées par les Femmes de santé dans leurs États généraux. Et c’est tant mieux. Comme le fait de genrer systématiquement les statistiques afin d’avoir des données fiables et plus nombreuses. Et pourtant, genrer la santé reste une réflexion qui déchaîne les passions dans les dîners débat sur le sujet. Demander à avoir une telle approche est encore considéré comme du militantisme primaire. Pourquoi ? Sans doute parce que nous vivons dans un monde où l’égalité stricte s’impose en droit (et c’est très bien comme cela). Sans doute aussi parce que la santé a été pensée non genrée (sauf lorsqu’il s’agit de différences anatomiques et donc de spécialités médicales), évaluée et testée sur des hommes (dans une perspective de protection des femmes et des femmes enceintes), pensée enfin, initialement, par des hommes. Et puis, la santé reste un secteur avec des biais culturels genrés encore ancrés chez les hommes comme chez les femmes, souvent totalement inconscients, liés à notre histoire et notre culture, ainsi qu’à notre éducation.
Se poser la question de ses propres biais. Comprendre et analyser ceux des personnes que l’on a en face de soi… Pas facile, mais nécessaire. Voilà comment nous progresserons. Ensemble.
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