Contribution

Violences sur enfant : l'obligation de signalement doit être dans la loi

Publié le 29/04/2022

PAR LES DRS FRANÇOISE FERICELLI ET EUGÉNIE IZARD - Les récentes recommandations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) préconisent une obligation de signalement par les médecins. Mais l'Ordre n'est pas de cet avis. Des réticences que le Collectif Stop Violences Médecins – créé il y a un an et qui rassemble une cinquantaine de praticiens – ne comprend pas. Deux de ses animatrices, pédopsychiatres, expliquent ici pourquoi.

Fericelli/Izard

CONTRIBUTION - Le collectif Stop Violences Médecins salue la sortie le 31 mars dernier du second rapport de la Ciivise. Ce rapport relève notamment la situation particulière des médecins vis-à-vis des violences sur enfants : « En l’état du droit, un médecin qui effectue un signalement en faveur d’un enfant victime ou susceptible d’être victime de violences sexuelles peut faire l’objet de poursuites disciplinaires de la part de l’ordre des médecins… La Ciivise se montre attentive à la situation de ces praticiens.iennes qui ont fait l’objet de ces poursuites, voire de sanctions allant jusqu’à l’interdiction temporaire d’exercer leur profession… » La Ciivise recommande donc la suspension des procédures ordinales dans le cadre des signalements d’enfants en danger ou susceptibles de l’être, rappelant que la protection de l’enfant doit primer. Elle recommande également de clarifier la position du médecin qui signale vis-à-vis de la loi et préconise une obligation de signalement pour les médecins clairement inscrite dans la loi.

Dans ce contexte, le collectif Stop Violences Médecins affiche sa consternation face à la position prise publiquement par l’Ordre des médecins suite à ces préconisations. Plusieurs éléments nous interrogent.

1/ Selon l’Ordre, les médecins ne devraient signaler auprès du procureur que « s’ils sont sûrs de l’existence des maltraitances » . Pour notre collectif, le médecin n’est ni un enquêteur ni un magistrat et il n’est pas de son rôle d’être sûr des faits. Le médecin ne peut que supposer et transmettre à la justice ou aux services sociaux les éléments qui lui font supposer que l’enfant est susceptible d’être en danger. Devoir être sûr des faits pour signaler reviendrait pour un médecin à ne jamais pouvoir signaler.

2/ Les médecins ont déjà une obligation de protection selon le code de déontologie médicale, il ne serait pas nécessaire, selon l’Ordre, d’avoir une obligation de signalement. Le collectif objecte qu’un médecin ne peut mettre en œuvre lui-même la protection d’un enfant soumis à des maltraitances. Il n’en a ni les moyens ni les prérogatives. Le seul moyen dont le médecin dispose est le signalement comme le prévoit la loi du 5 mars 2007 afin que des mesures de protection effectives puissent être mises en place dans les plus brefs délais.

Un enjeu majeur de santé

3/ L’Ordre estime que l’obligation de signaler pourrait « éloigner les enfants du soin ». Il faut ici rappeler que les enfants ont un besoin fondamental de sécurité affective et physique au quotidien, qualifié de Méta besoin par la communauté scientifique. Cela signifie que le besoin de sécurité chez l’enfant est la condition première de sa santé physique et psychique. Par ailleurs, la maltraitance dans l’enfance est le premier facteur de risque de suicide des enfants et adolescents, source pendant l’enfance et plus tard de maladies physiques et psychiatriques. Il s'agit donc d'un enjeu de santé publique majeur qui ne peut être ignoré du médecin. Enfin, la pratique clinique montre que l’accès aux soins pour l’enfant maltraité devient régulier et efficace seulement une fois les mesures de protection mises en œuvre. L’obligation faite aux médecins de signaler ne fera pas obstacle à l’accès aux soins, bien au contraire.

4/ Faut-il rappeler enfin que cette obligation existe ailleurs. Présente depuis 50 ans aux États-Unis, elle existe également au Canada et dans de nombreux pays européens. Au Canada, il a été démontré par une large étude que cela induit une meilleure protection des enfants. En France, les médecins scolaires ainsi que de PMI sont déjà soumis à une telle obligation de signalement : il ne s’agirait donc que d’élargir cette obligation à tous les médecins.

L’Association Mondiale de Psychiatrie (2009), le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (18 novembre 2009), le Comité des Droits de l’enfant et deux rapporteurs spéciaux de l’ONU (2011) ont également préconisé cette obligation, estimant qu’elle était garante d’une meilleure détection des enfants maltraités et d’une protection des médecins signalant.

Enfin, la HAS, dans son rapport de 2011 sur les violences intrafamiliales, relève que les médecins « font partie des acteurs de proximité les plus à même de reconnaître les signes évocateurs d’une maltraitance ». Et en 2014, elle déplore que moins de 5 % des signalements pour maltraitance sur enfants proviennent des médecins. Nous interrogeons donc : comment est-il possible pour un médecin de suivre les recommandations de la HAS, d’effectuer son devoir humain et éthique de protection des enfants victimes s’il doit redouter dans les suites de son signalement des poursuites et des condamnations ordinales ? Étant donné l’enjeu de santé publique que constituent la prévention et le repérage des signes de maltraitances physique, psychologique et sexuelle, le collectif Stop Violences Médecins se montre favorable à l’obligation de signaler. Constatant que les plaintes contre les médecins proviennent le plus souvent du ou des parents agresseurs, le collectif se positionne également en faveur de l’irrecevabilité par l’Ordre de toute plainte s’inscrivant dans le cadre de la suspicion de maltraitances à enfant.

Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.

Dr Françoise Fericelli, Dr Eugénie Hizard pour le collectif Stop Violences Médecins

Source : Le Quotidien du médecin