Le numérique transforme le système de santé, comme l’ont souligné les participants à la journée des Grandes Tendances de la e-santé 2025. De fait, les professionnels adoptent de plus en plus ces outils dans leur quotidien pour améliorer la prise en charge de leurs patients et gagner en productivité, et les autorités sanitaires adaptent leurs missions pour accompagner le déploiement de ces technologies, d’autant plus face à la déferlante de l’intelligence artificielle.
L’écosystème de la e-santé « va complètement transformer la santé actuelle et le rôle d'un ministère de la Santé est de préparer les professionnels à cette révolution technologique », a estimé le Dr Yannick Neuder, ministre de la Santé et de l’Accès aux soins, en ouverture de la journée des Grandes Tendances de l’e-santé 2025, le 28 janvier à Paris (1). Pour cela, la formation des soignants, initiale comme continue, est essentielle, de même que l’émergence de profils différents, comme des doubles cursus médecins-ingénieurs. In fine, a indiqué le ministre, l’objectif est de soigner mieux, d’améliorer la prise en charge des patients via également plus de prédiction, tout en gagnant de l'efficience grâce aux nouvelles technologies, en particulier l'intelligence artificielle (IA).
Face à l’arrivée massive d’outils numériques, les acteurs de l’écosystème ont partagé leur plan d’actions ou les évolutions opérées. À l’exemple de la Haute Autorité de santé (HAS), qui adapte ses missions. Ainsi, ses recommandations de bonnes pratiques concernent désormais aussi la e-santé et son intégration : « Récemment, nous avons publié une recommandation sur la prise en charge des TDAH et nous avons inclus les outils numériques pour expliquer comment ils peuvent aider », a expliqué le Pr Lionel Collet, son président. Une démarche identique a été suivie pour les troubles du spectre autistique. Par ailleurs, des critères numériques ont été inclus dans ses grilles d’évaluation des établissements, avec par exemple cette question : « Utilise-t-il la télésanté pour améliorer le parcours de santé du patient ? »
Cette année, la HAS entend aussi se pencher sur l’identification des besoins des professionnels de santé en matière d'intelligence artificielle générative.
Accompagner les professionnels de santé
De son côté, l'Assurance-maladie s'est dotée de compétences pour être un acteur de la diffusion de l'IA au service de la qualité des soins, de l'accompagnement des professionnels et de l'efficience du système de santé, en se posant toujours la question des besoins des patients et des soignants et en essayant d’expérimenter pour voir comment ces outils s'implémentent dans les pratiques, a indiqué son directeur général, Thomas Fatôme.
Des assises de la télémédecine devraient être organisées dans les prochains mois pour réfléchir à sa juste place dans le parcours de soins
Une expérimentation est ainsi en cours de déploiement sur l’accompagnement de la pratique de l'électrocardiogramme, avec des modules d'IA, par les médecins généralistes. « Nous avons un objectif simple qui est d'ancrer l'usage du numérique en santé, chez les patients comme chez les professionnels de santé, et de faire en sorte que, petit à petit, différents outils s’imposent de façon positive dans ce quotidien. Nous avons la conviction que cela va favoriser la prévention et réduire la redondance dans les examens », a-t-il ajouté. Il s’est dès lors réjoui de la montée en puissance de Mon espace santé, avec des dossiers de plus en plus alimentés et consultés par les blouses blanches, ainsi que de la progression des ordonnances numériques, auxquelles ont actuellement recours plus de 30 000 médecins. Des assises de la télémédecine devraient être organisées dans les prochains mois pour réfléchir à sa juste place dans le parcours de soins.
Recenser les outils
En matière de e-santé, l’intelligence artificielle est incontournable. Ce n'est pas le futur, mais le présent, a déclaré Stéphane Pardoux, président de l’Anap (Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale), ajoutant qu’après des applications à visée de diagnostic, l’IA concerne désormais les fonctions de support. « Dans les structures sanitaires, il y a beaucoup "d'irritants", de tâches répétitives et de choses complexes à organiser pour les encadrants. Nous avons la conviction que l'intelligence artificielle sera massivement déployée dans les établissements si cela permet de gagner du temps et de l’efficacité », a-t-il souligné. La gestion des plannings hospitaliers est un bon exemple. Un challenge IA versus cadres de santé autour de la réalisation d’un planning est d’ailleurs prévu le 6 mars. En outre, l’Anap a déployé une plateforme recensant des applications testées, disponibles et utilisées dans des établissements, qu’il s’agisse d’automatisation de comptes rendus médicaux, d'optimisation du codage ou encore de recueil via l’IA de la satisfaction de résidents ou patients. L’objectif est de montrer l’existence de ces outils à l’ensemble des acteurs pour faciliter leur adoption.
Autre initiative : celle du MipihSIB, un groupement public issu de la fusion en janvier 2025 du Mipih et du SIB et dédié à l'accélération de la digitalisation du système de santé, qui a créé un espace de partenaires de confiance pour travailler avec l'ensemble des acteurs de l’écosystème, y compris des start-up, a détaillé Mostafa Lassik, son directeur général. L’idée, ici, est d’encourager l’expérimentation de nouvelles solutions, améliorer le partage de données et enrichir les offres d’outils.
Améliorer la qualité des soins
L'IA classique fait partie du quotidien, surtout en imagerie et anatomopathologie. En revanche, un grand nombre de produits d’IA générative sont disponibles mais encore peu utilisés du fait d’un manque de vision claire sur leur financement, a fait remarquer le Pr Jean-Emmanuel Bibault, oncologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). Il est aussi cofondateur de Jaide, une start-up utilisant l’IA générative pour améliorer le suivi des symptômes de patients atteints de cancers grâce à l’automatisation de consultations. Une étude montre que son outil permet aux médecins de gagner près de 30 % de temps sur les consultations et de générer des comptes rendus automatiques meilleurs que ceux réalisés par des humains dans 80 % des cas : « Il y a le côté productivité mais c’est surtout l’aspect qualité des soins qui est majeur. Une raison d'être de Jaide est d'aider les médecins à prendre de bonnes décisions, puisque l'on sait que les symptômes sont sous-estimés chez 20 % des patients, entraînant 30 % de perte de chance pour eux. L’IA générative est une des façons d’adresser ce problème. »
Enfin, le projet du Pr Jean-Noël Trochu, chef du pôle hospitalo-universitaire Institut du thorax et du système nerveux, au CHU de Nantes, a aussi été mis en avant. Il part du constat qu’en 2021, un tiers des patients ayant eu un accident cardiovasculaire n’avaient pas ensuite le traitement adapté dans l’année. Après une réflexion menée dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire, la décision a été actée de définir un plan de prise en charge personnalisée pour chaque patient, en s’appuyant sur une solution numérique. Celle-ci doit « permettre de mieux identifier les risques, partager les informations, donner des objectifs partagés avec le patient et également repérer les populations les plus fragiles ». L’expérimentation, menée en collaboration avec Novartis, est en cours. Elle établira l’appropriation de l’application par les patients et les professionnels et donnera des réponses sur des objectifs précis, comme la réduction des récidives ou des hospitalisations.
(1) Événement organisé par Interaction Healthcare
Quelle perception des outils numériques par les soignants ?
Près de 90 % des blouses blanches utilisent des outils numériques dans leur pratique quotidienne, selon le baromètre e-santé « Perception des professionnels de santé sur leurs usages et ceux de leurs patients » (1). Il s’agit d’outils d'aide à la décision (50 % des répondants), d’outils d'aide à la formation continue (44 %), de téléconsultation (27 %), de télé-expertise (17 %). Ils sont quasi unanimes sur le bénéfice pour la qualité des soins (93 %) et 64 % à identifier une efficacité accrue de la prise en charge. Par ailleurs, 55 % y voient un bénéfice en termes de gain de temps et 48 % de précision diagnostique. Des freins à l’utilisation des outils numériques sont néanmoins identifiés dans l’enquête, notamment le manque de temps pour se former (48 %), des problèmes d'interopérabilité (42 %) ou encore le coût élevé des solutions (32 %).
(1) Enquête menée du 16 novembre 2024 au 15 janvier 2025 et présentée par le Dr Grégoire Pigné, oncologue et CEO de PulseLife. Parmi les 760 professionnels de santé ayant répondu, 54 % étaient médecins.