Pr Régis Aubry, spécialiste des soins palliatifs : « Analyser collégialement une demande d’aide à mourir évite l’arbitraire et le subjectif »

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Publié le 06/06/2025
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L’Assemblée nationale a adopté en première lecture les deux propositions de loi sur les soins palliatifs et l’aide active à mourir, le 2788mai, légèrement modifiées par rapport au projet initial du gouvernement. Un cadre qui crée un modèle français unique, selon le Pr Régis Aubry, spécialiste des soins palliatifs*.

Les propositions de loi ont été examinées en première lecture à l’Assemblée nationale avant le passage au Sénat à l’automne

Les propositions de loi ont été examinées en première lecture à l’Assemblée nationale avant le passage au Sénat à l’automne
Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Quel regard portez-vous sur la proposition de loi ouvrant un nouveau droit à l’aide à mourir ?

Pr RÉGIS AUBRY : Cette loi ouvre un droit à l’assistance au suicide ; sauf si la personne est en incapacité physique de s’administrer le produit létal. Ce retour à l’esprit du projet initial me semble important, et je m’inquiétais de la version issue de la commission des Affaires sociales qui laissait au patient un libre choix entre suicide assisté et euthanasie.

Les cinq conditions cumulatives sont nécessaires. L’inscription de la définition de la phase avancée dans la loi me semble pertinente, au regard des travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) qui montrent l’impossibilité de déterminer un pronostic temporel individuel. Instaurer comme critère le fait d’avoir une maladie incurable, en phase avancée ou terminale, et d’être entré « dans un processus irréversible marqué par l'aggravation de l'état de santé qui affecte la qualité de vie » est de nature à dissiper les craintes qu’on peut entendre, à savoir que cette loi pousserait au suicide des personnes âgées ou handicapées.

Mais plus cruciaux encore seront les textes d’application (décrets, arrêtés…), si la loi est votée. J’appelle de mes vœux un élargissement de l’approche interdisciplinaire pour l’analyse d’une demande d’aide à mourir. La collégialité permet de ne pas réduire cet examen à une relation entre un patient et un médecin.

Tout l’enjeu est de savoir en quoi la demande d’un patient correspond à sa volonté

La loi prévoit déjà une réunion entre au moins trois soignants. Est-ce insuffisant ?


Il faut un texte réglementaire pour décrire comment des arguments différents peuvent éclairer la décision du médecin. Que faire si un spécialiste, une infirmière, un psychologue ou le médecin traitant n’ont pas la même analyse de la demande ? Comment débattre, changer d’avis sous l’influence d’autrui ? Quelle possibilité existe-t-il d’apporter autre chose qui pourrait modifier la demande ? Sans oublier la parole du patient ! Tout l’enjeu est de savoir en quoi la demande d’un patient correspond à sa volonté. Une demande peut être le fruit d’une exaspération liée à la souffrance ou au sentiment de n’avoir plus sa place dans la société. Une demande sous le coup d’une pression intérieure ou extérieure n’est plus libre ni éclairée. Recourir à un psychologue ou psychiatre en cas de doute sur le discernement est une possibilité intéressante mais il ne faut pas non plus psychologiser toute demande.

Le groupe de travail de la HAS sur le pronostic vital engagé à moyen terme/phase avancée a proposé que la construction d’une délibération collective fasse l’objet de recommandations. Cela serait une garantie supplémentaire contre des analyses trop hâtives, subjectives ou grevées par les hiérarchies médicales.

Vous insistez aussi sur l’importance de la commission de contrôle et d’évaluation.

Elle aura un rôle clé. Il faudrait qu’elle ait un large champ d’analyse, qui ne se limiterait pas à vérifier que les demandes d’aide à mourir accordées rentrent bien dans les critères. Elle devrait aussi repérer si des phénomènes non anticipés interviennent, pointer les évolutions, émettre des propositions. D’aucuns craignent que l’aide active à mourir entraîne une rupture anthropologique et incite indirectement les plus vulnérables au suicide. Une telle commission peut confirmer ou infirmer cela, et proposer des adaptations pour que l’esprit et la lettre de la loi soient réellement appliqués.

La prudence passe par une loi qui ouvre, mais qui se donne les moyens d’évaluer ce qu’elle peut produire

Cette proposition de loi est-elle fidèle à l’avis 139 du Comité consultatif national d'éthique ?

Oui, je m’y retrouve, y compris dans l’instauration d’une clause de conscience pour les soignants et d’un délit d’entrave. Dans une logique de respect de la volonté du patient et du devoir de solidarité – potentiellement en tension – il faut à la fois respecter la clause de conscience et éviter d’empêcher une demande.

Pensez-vous que le monde médical va suivre ?

Les réticences des soignants portaient – légitimement ! – sur l’euthanasie, d’où mon inquiétude lorsque la commission des Affaires sociales a mis sur un pied d’égalité suicide assisté et euthanasie. Jusqu’où va le soin ? Le fait d’accompagner une personne dans sa demande, est, pour moi, du soin. Accepter in fine, dans des situations exceptionnelles, qu’elle choisisse d’absorber un produit létal, est encore du soin. Cette loi me semble de nature à rassurer, notamment, le monde des soins palliatifs, qui avait peur d’une instrumentalisation du soignant. Il y aura toujours des risques de dérives, mais il y a aussi des risques à ne pas entendre la souffrance de certaines personnes, ou à vouloir décider pour autrui. La prudence passe par une loi qui ouvre, mais qui contraint et se donne les moyens d’évaluer ce qu’elle peut produire.

Vous êtes l’un des co-auteurs de la stratégie décennale sur les soins palliatifs. La proposition portée par Annie Vidal répond-elle à l’urgence de les développer ?

La loi renforce la notion de droit opposable aux soins palliatifs, déjà présente dans la loi de 1999, et inscrit noir sur blanc la nécessité d’une programmation quinquennale de la trajectoire de leur développement, ce qui oblige le Parlement à repenser l’offre régulièrement. La création de maisons d’accompagnement et de soins palliatifs, pour accueillir des personnes qui n’ont pas besoin d’hospitalisation mais ne peuvent rester chez elles, déplace le champ du soutien vers la société civile. La fin de vie est surmédicalisée aujourd’hui. Or cet évènement majeur dans l’existence relève du social ou du sociologique : la société doit se réapproprier la notion de finitude. En 2012, ces maisons avaient été expérimentées dans trois endroits, dont Besançon : notre évaluation concluait sur la pertinence d’en créer plusieurs centaines sur tout le territoire.

J’ai en revanche un regret : l’instance de gouvernance de la stratégie reste rattachée à la santé, alors qu’avec le Pr Franck Chauvin, nous avions plaidé pour une instance interministérielle transversale, impliquant les ministères de la Recherche, de la Santé, du Travail, des Affaires sociales, etc. Il faudrait aussi discuter de la pertinence d’un DES de soins palliatifs : la Conférence des doyens y est hostile, le Collège des enseignants universitaires de la société française de soins palliatifs favorable. En attendant, le volet recherche de la stratégie décennale qui n’avait pas besoin de la loi est lancé.

*co-rapporteur de l’avis 139 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) en 2022 et président du groupe de travail de la Haute Autorité de santé (HAS) sur les notions de pronostic vital engagé à moyen terme/phase avancée

Propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin