Traditionnellement peu séduits par les partis de gauche – hormis dans le milieu hospitalier public –, les médecins allemands confirment clairement, à la veille des législatives, ce tropisme : ils sont 48 % à soutenir la droite modérée – l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et son partenaire bavarois la CSU –, emmenée par le peu charismatique Friedrich Merz, un libéral conservateur favori pour conquérir la chancellerie (avec 30 % des intentions de vote en population générale) . À l’inverse, alors que les sondages accordent plus de 20 % des suffrages des Allemands au parti d’extrême droite (AFD), cette formation ne convainc « que » 11 % des médecins. Quant aux sociaux-démocrates et aux Verts, qui forment l’actuelle coalition gouvernementale, ils obtiennent chacun 15 % des voix chez les blouses blanches.
Des réformes et des épines
Si les débats se sont polarisés sur l’immigration pendant la campagne (lire encadré), l’avenir du système de santé reste un sujet d’inquiétude pour la profession avec un bilan en demi-teinte de l’équipe sortante du chancelier social-démocrate (SPD), Olaf Scholz. Depuis son arrivée en octobre 2021, le ministre de la Santé Karl Lauterbach, médecin épidémiologiste, n’a pas ménagé sa peine pour réformer mais estime lui-même que sa tâche est inachevée, alors que l’assurance-maladie publique outre-Rhin, longtemps excédentaire, renoue avec les déficits. En 2024, le « trou » a été contenu à 5 milliards d’euros pour 300 milliards d’euros de dépenses, mais au prix d’économies drastiques et, surtout, d’une forte hausse des cotisations maladie…
L’assurance-maladie publique allemande, longtemps excédentaire, renoue avec les déficits
Plusieurs réformes ont perturbé, voire irrité la profession. En décembre, le Bundestag a voté une refonte de la carte hospitalière, qui accrédite les hôpitaux en fonction de leurs activités (seuils, plateaux techniques, matériel, etc.). Or ce régime d’autorisation durci risque d’entraîner la fermeture de nombreux petits établissements mal préparés à cette évolution. En médecine libérale ensuite, la disparition des enveloppes globales a certes soulagé les généralistes – qui pourront accueillir davantage de patients sans risque de sanctions et de reversement d’honoraires – mais a mécontenté les spécialistes, qui ne sont pas concernés. En outre, la digitalisation à marche forcée du système de santé allemand, en retard sur ce plan, ne se fait pas sans heurts ni dysfonctionnements (après l’ordonnance électronique, le dossier médical numérique est obligatoire depuis janvier et doit être alimenté par tous les médecins).
Haro sur la paperasse, comme en France !
À l’instar de la situation hexagonale, la désertification médicale est un immense défi, qui nourrit les critiques à l’endroit des autorités de santé. Si l’Allemagne n’a jamais compté autant de médecins, ils sont particulièrement mal répartis : de vrais déserts médicaux ont gagné les zones isolées, notamment à l’est, tandis que la pénurie de généralistes traitants s’aggrave, selon les études. Le ministre SPD Karl Lauterbach souhaite, comme en France, développer les délégations de tâches (à des professionnels non médecins) et surtout rendre l’exercice libéral plus attractif. Mais à ce stade, sa volonté affichée n’a pas convaincu, éloignant encore les praticiens de la gauche. Plutôt que de saluer de grands discours, la profession réclame d’être déchargée du « fardeau administratif » qui s’est développé ces dernières années. L’incitation pour les médecins proches de la retraite ou retraités à poursuivre leur activité est aussi jugée prioritaire ; une mesure qui fait écho, là encore, à la problématique française (le budget de la Sécu 2025 réintroduit l’exonération de cotisations vieillesse pour les médecins en cumul emploi-retraite sous conditions).
Dans un manifeste adressé à tous les partis, l’Ordre et les syndicats de médecins ont rappelé que le changement climatique reste « la plus grande menace pour la santé de la population », réclamant un plan d’action contre le réchauffement. Les pouvoirs publics sont par ailleurs sommés d’agir contre les violences à l’encontre des professionnels de santé, alors que les agressions contre les blouses blanches ne cessent d’augmenter. Un autre combat partagé entre l’Allemagne et la France.
Les médecins étrangers indispensables
Si la grande majorité des médecins rejettent les thèses de l’extrême droite (AFD) sur l’immigration, ils rappellent surtout que le pays ne pourrait absolument pas se passer des médecins étrangers, au risque sinon de fragiliser, voire déstabiliser le système de soins dans son ensemble. De fait, l’Allemagne compte 64 000 médecins étrangers en exercice, soit un praticien sur sept. C’est deux fois plus qu’en 2013 et six fois plus qu’il y a trente ans.
Arrivés essentiellement à partir de 2015, les 6 100 médecins syriens représentent à eux seuls 10 % de ce contingent de praticiens étrangers. La plupart ont bénéficié d’une formation linguistique et d’une évaluation professionnelle assurée par l’État et les structures médicales. Ils sont tellement indispensables que l’Ordre et les syndicats se sont inquiétés, après la chute du dictateur Assad, d’un éventuel retour massif de ces médecins dans leur pays. Derrière les Syriens, les plus nombreux sont les 4 600 médecins roumains et 3 000 médecins autrichiens, suivis par les praticiens grecs, russes et turcs. Et même si l’AFD n’a aucune chance d’arriver en tête à ces élections, le climat qu’elle entretient pourrait dissuader de nombreux médecins de venir exercer en Allemagne, alerte l’Ordre.
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