91,4 millions de visites de 1er recours chez le médecin pourraient être évitées, chaque année, avec « une véritable stratégie nationale du premier recours » en officine. C'est ce que prétend Nères, une organisation professionnelle qui représente les laboratoires pharmaceutiques commercialisant des produits à prescription médicale facultative (PMF)*, dans son baromètre 2022.
Vincent Corard, son président, estime ainsi que les 91,4 millions de « dispensations constituées uniquement de produits de premier recours (PMF) » comptabilisées en 2022 « sont autant de visites qui pourraient être évitées pour des maux bénins si la France se dotait d'une véritable stratégie de premiers recours ».
16 jours de consultations gagnés par médecin grâce à l'automédication, vraiment ?
« Cela représente jusqu’à 16,76 jours de consultations par médecin généraliste qui pourraient être libérés chaque année et réinvestis pour améliorer l’accessibilité́ aux médecins », soutient-il, dans un communiqué de presse.
Contacté, le président du Collège de médecine générale, le Pr Paul Frappé, se dit « atterré » par de tels propos :
« Ce chiffre est d'un non-sens et d'une ignorance complète. Cette affirmation piétine complètement la réalité d'une consultation médicale où le patient a besoin d'être examiné et ausculté. Ce chiffre laisse clairement entendre que ce qui constitue un soin réside dans le simple fait de lui délivrer un médicament en accès libre. C'est mal connaître la réalité du terrain ! », insiste le généraliste qui invite les auteurs du baromètre à « venir faire un stage dans un cabinet de médecine générale ».
D'ailleurs, souligne-t-il, « sur les 91 millions de dispensations évoquées, une certaine partie a été délivrée suite à une consultation de médecin généraliste », ce qui remet donc en cause l'affirmation des auteurs du baromètre.
Plus de la moitié des dispensations sont des produits à prescription médicale facultative
D'après le baromètre Nères, en 2022, les dispensations réalisées en officines sont en nette augmentation (+13,1 % par rapport à 2021). D'ailleurs, « l'augmentation structurelle des dispensations en officine profite largement aux produits de santé de premiers recours », note l'organisation professionnelle.
« Ce rôle renforcé des officines dans le premier recours a probablement été facilité par l’élargissement du rôle des pharmaciens qui s’accélère depuis la crise sanitaire, notamment : vaccination, test COVID, test grippe, téléconsultation, etc. », observe Nérès.
Au total, les produits à prescription médicale facultative (PMF) représentent 51,7 % des dispensations totales, soit 656 millions de dispensations (+12,9 % par rapport à 2021). Dans le détail, 303 millions des 656 millions de dispensations ont été prescrites par un médecin et 353,5 millions ont été délivrées hors prescription (+17,6 % par rapport à 2021).
Sur « les 353 millions de dispensations pour le premier recours sans ordonnance, plus de 61 millions ont lieu en dehors des heures de bureau (avant 9 heures et après 18 heures) et 33 millions pendant la pause déjeuner », souligne l'organisation, rappelant que « les pharmacies sont majoritairement ouvertes avant les cabinets médicaux et fermées après ».
Affirmation que le Pr Paul Frappé souhaite nuancer : « Là encore, c'est faire croire que les médecins ne travaillent pas et se contentent de rédiger des ordonnances à la demande des patients. C'est nier tout simplement le travail des qui médecins assurent en grande majorité des gardes sur l'ensemble du territoire ».
Vers un SAS de proximité géré par les pharmaciens ?
Dans son communiqué, Nères appelle « à la mise en place d’un parcours de soins qui, pour les maux du quotidien, ne débute plus chez le généraliste débordé, mais chez le pharmacien ».
Une évolution à laquelle s'oppose fermement le Collège de la médecine générale :
« Oui l'interprofessionalité est vivement souhaitable. D'ailleurs les pharmaciens sont des acteurs importants pour améliorer le parcours des patients. Il y a de nombreux aspects sur lesquels nous devons travailler ensemble. Je pense notamment aux soins non programmés car très clairement il y a des patients qui vont chez le pharmacien avant d'aller chez le médecin ou sans y aller du tout. Un SAS de proximité géré par les pharmaciens en partenariat avec les médecins pourrait notamment être une très bonne chose », défend le Pr Paul Frappé.
« Mais faire croire qu'on peut améliorer le système de santé en vendant toujours plus de médicaments dont les patients n'ont pas toujours besoin est loin d'être la solution », insiste-t-il.
Il ajoute : « Derrière tout ça, on a vraiment l'impression que c'est le business qui parle ». Car sur l'ensemble des produits à prescription médicale facultative (PMF), figurent en effet « des produits dits de « bien-être » sans aucune efficacité à en attendre et qui sont complètement hors de la médecine ».
Si le Pr Paul Frappé n'est pas favorable à une « interdiction » pure, il appelle à ce que la frontière soit « lisible » par les patients afin qu'ils ne soient pas « trompés » sur la marchandise.
*Médicaments, dispositifs médicaux et compléments alimentaires
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