Son arrivée était un souffle d’espoir, notamment pour les libéraux. Oui, les négociations conventionnelles allaient reprendre. Exit le contrat d’engagement territorial. Oui, le principe du C à 30 euros était une piste sur la table. Aurélien Rousseau a incarné, auprès du secteur, optimisme et action, appelant de ses vœux à passer au « temps des preuves ».
Bien sûr, avait émergé au moment de sa nomination au ministère de la Santé, en juillet 2023, une suspicion de conflit d’intérêts au regard de la position de sa femme, Marguerite Cazeneuve, numéro 2 de la Cnam… Vite effacée, en quatre jours, par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Un tournant dans le quinquennat
Érigée comme chantier prioritaire par le Président lui-même, la Santé compte également pour les Français, las de la désertification médicale et des difficultés d’accès des urgences. À la fin de l’été, Aurélien Rousseau a été le ministre qui a pérennisé les sujétions et le travail de nuit à l'hôpital, puis réuni les syndicats de médecins libéraux pour relancer les négociations conventionnelles à l’automne. Une politique menée sur ses deux jambes. Équilibrée.
Même minimisée par la Première ministre, sa démission marque un tournant dans le second quinquennat d’Emmanuel Macron. Car rares sont les ministres qui préfèrent quitter le gouvernement plutôt que de trahir leurs idées. Aurélien Rousseau avait prévenu : si le texte sur l’immigration était adopté, il dirait adieu à Ségur. « Cela touche aux murs porteurs. Je ne donne de leçons de gauche ou de morale à personne. Je constate cliniquement que ce n'est pas possible pour moi d'expliquer ce texte », avait-il confié au Monde.
L’enfer de Ségur
En réalité, cela faisait plusieurs semaines qu’Aurélien Rousseau était en difficulté. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 a connu des débats âpres, happés par la question de la hausse des franchises médicales et hachés par la multiple utilisation du 49.3 par Élisabeth Borne. Difficile d’imprimer sa marque dans ce contexte, spécialement face à Bercy, à la recherche de la moindre économie.
Puis, dans le cadre de l’examen du projet de loi immigration, le débat sur l’aide médicale d’État (AME) est revenu dans l’hémicycle sous la pression des sénateurs LR, qui ont placé dans le texte une réduction de son panier de soins, la transformant en aide médicale d’urgence (AMU). La mission Evin-Stefanini a bien convenu que l’AME était nécessaire, mais qu’importe, la droite a réussi à négocier un projet de loi dédié en 2024. Pas vraiment du goût d’Aurélien Rousseau.
Ce ministère est-il maudit ? En six ans, les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron ont connu six ministres : Agnès Buzyn (mai 2017 à février 2020), Olivier Véran (février 2020 à mai 2022), Brigitte Bourguignon (mai à juillet 2022), François Braun (juillet 2022 à juillet 2023), Aurélien Rousseau (juillet à décembre 2023) et enfin Agnès Firmin Le Bodo, qui est – pour l’instant – chargée de l’intérim. Plusieurs d’entre eux ont quitté le navire brutalement : Buzyn pour le chaos des municipales, Bourguignon après un échec aux législatives, Braun pas assez « cogneur » pour Borne et maintenant Rousseau, car en opposition avec l’adoption d’un texte. Bientôt le même destin pour Agnès Firmin Le Bodo, qui fait l’objet d’une enquête judiciaire pour avoir reçu 20 000 euros de cadeaux de la part des laboratoires Urgo ?
« Ne pas être baladé par l’administration »
Ces changements créent un « problème de mise en place des politiques publiques » en termes de santé, en « ralentissant la capacité à réformer et mettre en œuvre des politiques de transition pour rendre le système plus efficient et plus efficace », a expliqué Agnès Buzyn sur France Info le 21 décembre. En somme, c’est « un problème, pour un secteur en crise », a-t-elle détaillé. Qui pour prendre la tête de Ségur ? L’ancienne ministre a sobrement déclaré qu’« il faut vraiment connaître le secteur, qui est très complexe » notamment pour « ne pas être baladé par l’administration ».
Côté syndicats, c’est le brouillard, livre au Quotidien le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. « Nous sommes inquiets car nous n’avons plus de ministre, ose-t-il. Agnès Firmin Le Bodo fait office d’intérim… Aura-t-on le même engagement ? Nous réclamons un ministre de plein exercice ! » D’autant plus que les échanges entre Aurélien Rousseau et les libéraux étaient positifs. « Rien ne l’obligeait à reprendre les négociations. Il nous a dit “mettons en place les conditions d’une convention médicale qui répond à ce souci d’attractivité et, après, nous irons chercher les arbitrages”. Merci de cette impulsion ! », s’exclame le Dr Devulder.
Les 49.3 inéluctables
Pour le Dr Claude Pigement, ancien « M. santé » du Parti socialiste (PS), « psychologiquement, ce n’est pas étonnant qu’Aurélien Rousseau démissionne ainsi, il est capable de le faire et l’a déjà fait, que ce soit à l’ARS Île-de-France ou au cabinet de Borne. » Mais cette démission est compréhensible aussi sur le fond, poursuit-il : « Il vient de la gauche et s’est rendu compte que la lettre de Borne sur l’AME lui avait été dictée par Bruno Retailleau… Il s’est dit qu’il était incapable de produire un projet de loi à ce sujet pour le début d’année ».
Le gastro-entérologue parisien regrette toutefois ce départ. « C’est dommage, car c’est un ministre intelligent, qui connaît bien les sujets. Tout était embryonnaire dans sa prise de fonction… Il a subi tout ce que les ministres passés ont vécu : rapports de force et 49.3 inéluctables compris. Il mérite également un énorme respect pour être allé au bout de ses convictions. »
Aurélien Rousseau aurait reçu une haie d’honneur de ses collaborateurs à son départ, après, à en croire les informations du Monde, « une violente explication avec le président de la République ». Depuis, il multiplie les gazouillis sur X (ex-Twitter). Où, le 1er janvier, il ne s’est pas privé d’adresser ses vœux « à tous les acteurs du système de santé qui [lui] ont tant apporté depuis des années ».
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