Dans cette commune de quelque 19 000 habitants, surnommée le « Versailles Lorrain », tous les médecins généralistes se connaissent. Alors, quand la possibilité de vacciner en cabinet avec le vaccin Pfizer est apparue à Lunéville et ses alentours, comme le raconte le Dr Michèle Bouche, c’est allé très vite. « Nous recevons des flacons toutes les semaines : le mardi soir ou le mercredi matin. Nous convoquons les patients dans la foulée et nous injectons les sept doses dans les cinq jours. »
Ici, pas de problème, la population est volontaire. « J’ai une grande liste d’environ 200 personnes. Je vaccine même à domicile. Généralement, je fais cinq doses au bureau et deux à domicile, même tard le soir. La semaine dernière, j’ai vacciné à 20 heures une dame de 83 ans. » La praticienne prépare sa seringue dans une boîte réfrigérée et se rend chez ses patients. Cela lui permet notamment de vacciner les plus âgées, comme sa patiente qui fêtera ses 101 ans le 1er juin prochain et se verra injecter une protection contre le virus le lendemain.
Une initiative du président de l’Ordre du Grand-Est
Tout ceci est possible grâce à l’initiative du Dr Vincent Royaux, président de l’Ordre des médecins du Grand-Est et généraliste lunévillois. Ce dernier a réussi à obtenir la mise en place de cette expérimentation, effective depuis le mois de mars. « Quand nous avons commencé à vacciner en centre de vaccination, il y avait des personnes âgées pour qui il était difficile de s’y rendre car elles étaient grabataires, ou avec un accès internet limité, ou tout simplement qui voulaient être vaccinés par leur médecin traitant », justifie-t-il.
Le médecin est parti du postulat qu’une vaccination avec Pfizer en cabinet serait un complément aux autres possibilités vaccinales dans le Lunévillois. « Nous sommes sur un territoire semi-rural, dans le secteur sud de la Meurthe-et-Moselle, avec 87 000 habitants, dont 7 500 de plus de 75 ans », précise-t-il. Le généraliste a entrepris la rédaction d’un protocole d’expérimentation de Pfizer en cabinet avec le Dr David Piney du Centre Hospitalier de Lunéville ; mais la préfecture et l’ARS locale n’en voulaient pas. « On nous a présenté toutes les oppositions et bonnes excuses possibles », commente-t-il.
L'intervention décisive du député
Arrive un fameux mardi de février où le médecin est invité dans les appartements privés du préfet de Nancy avec entre autres, le député du coin, la direction de l’ARS, et celle du Centre Hospitalier. « Nous faisons le tour de trois sujets devant Olivier Véran, dont l’expérimentation en cabinet de Pfizer. Nous obtenons une visioconférence deux jours plus tard avec le chef de cabinet du ministre de la Santé et les pharmaciens du CHU assurant la coordination. » Deux semaines plus tard, soit le 8 mars, les premiers flacons sont livrés : la vaccination peut démarrer. Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
Celui qui est parvenu à faire bouger les choses, c’est Thibault Bazin. Le député Les Républicains (LR) de la 4e circonscription de Meurthe-et-Moselle raconte, modeste, comment il a réussi à manœuvrer en coulisse pour gagner l'expérimentation. « En fait, tout s’est joué avant la visite du ministre. Le Dr Royaux m’a appelé et m’a prévenu des blocages de la préfecture et de l’ARS et m’a demandé de "jouer mon rôle" de député. J’ai obtenu un rendez-vous avec le préfet. Nous avons eu une prise de tête, c’est monté dans les tours… Et après plusieurs échanges, la préfecture et l'ARS ont cédé, avec conditions. » Qui sont les suivantes : être adossé à un centre hospitalier pour des questions de conservation des vaccins ; s'engager à ne perdre aucune dose ; et respecter une logistique pour que le vaccin soit transmis dans de bonnes conditions.
Un ministère ouvert aux propositions
« Il y avait un accord de principe avec le ministère. Les freins étaient plutôt locaux que nationaux. Olivier Véran dit souvent : "je suis ouvert à tout ce qui permettra de toucher les publics ciblés de manière innovante" », précise l’élu du Lunévillois, territoire regroupant quelque 190 communes et s'étendant jusqu'au Vosges. « J’ai fait pression auprès du préfet, notamment parce que la métropole de Nancy a vacciné en avance par rapport à d’autres départements plus ruraux ou périurbains et je n’accepte pas la vaccination à deux vitesses », dénonce-t-il.
L’hôpital de Lunéville décongèle les vaccins, les livre aux officines qui les mettent dans un super-congélateur, puis les médecins viennent les chercher et ont cinq jours pour administrer les doses. Le Dr Royaux se charge ensuite de répartir les vaccins sur le territoire. « Dès la semaine du 8 mars, nous avons commencé à vacciner avec 32 flacons. Aujourd’hui, nous avons fait plus de 3 500 injections, avec un maximum de deux à trois flacons par médecin, par semaine. Cette expérimentation fonctionne très bien ! Et en parallèle nous vaccinons avec l’AstraZeneca, Janssen et bientôt Moderna… », détaille Dr Royaux.
« Une sacrée réussite »
« C’est une sacrée réussite. Les médecins libéraux ont été moteurs, au même titre que les pharmaciens et les autres professionnels de santé », se félicite le député LR. De son côté, le Dr Royaux est fier d'avoir pu rendre service à ses patients et en a bien fait part à Ségur. « Cinq à six semaines après le début de l’expérimentation, nous avons envoyé un rapport au ministère, montrant que nous n’avons pas eu de dose perdue et que les documents administratifs ont été bien remplis ».
Reste à savoir si cette expérimentation pourra être généralisée ailleurs dans l'Hexagone, comme le réclament plusieurs syndicats de médecins. Peut-être pour se prémunir contre ces demandes pressantes, contacté, le ministère de la Santé a précisé - de manière laconique - qu'il « s’agit d’une initiative locale. L’utilisation du vaccin Pfizer-BioNTech reste à ce stade réservée aux centres de vaccination. »
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