Erreur de casting que ce nouveau ministre délégué à la Santé choisit par Michel Rocard pour faire équipe avec Claude Evin ? A priori, la nomination du Pr Léon Schwartzenberg ce 29 juin 1988 faisait plutôt l’effet d’un joli coup médiatique, tant le cancérologue de Villejuif crevait les plafonds de popularité dans cette France de la fin des années 80. Quelques jours plus tard, au conseil des ministres, il tenait d’ailleurs la vedette au sein d’un gouvernement qui inaugurait le second quinquennat de François Miterrand. A lui seul, il était à la fois un sacré symbole de l’ouverture à la société civile et du fameux « parler vrai » dont le nouveau premier ministre voulait faire sa marque de fabrique. L’oncologue n’avait-il pas, un an plus tôt, révélé dans la presse comment il avait aidé une de ses patientes à passer de vie à trépas ? Son tandem avec Claude Evin visait sans doute aussi à calmer les plus grincheux parmi les médecins qui, à l’arrivée de ce dernier le mois précédent, voyaient d’un mauvais œil que leur ministre de tutelle fut un éducateur spécialisé…
Et pourtant, le saut dans le grand bain de la politique de cet universitaire people, ancien résistant, auteur de nombreux ouvrages et compagnon de la comédienne Marina Vlady, allait vite tourner vinaigre. Ce 7 juillet 1998, sa première conférence de presse en compagnie de son ministre de tutelle et de deux autres de ses ministres devait prématurément précipiter son départ. La scène se passe dans un des salons de l’avenue de Ségur et aux journalistes qui sont présents, Claude Evin fait une présentation un peu générale et convenue de 10 minutes avant de passer le micro à ses acolytes. Que dire alors qui ne soit pas des banalités quand on est une personnalité en vue ? Léon Schwartzenberg ne se démonte pas et annonce tout à trac sa conviction qu’il faut rendre obligatoire le dépistage du Sida chez les femmes enceintes. On est en plein dans la décennie VIH, mais avant que n’éclate l’affaire du sang contaminé, et cette sortie n’était prévue, ni par Evin ni par Rocard. Pour ne rien arranger, le célèbre professeur, fidèle à ses engagements d’avant, prend aussi position pour la dépénalisation de l’usage du cannabis et le contrôle du marché par l’Etat pour casser le marché des trafiquants. Même en 2015, la suggestion reste avant-gardiste. Elle l’était encore davantage à la fin du siècle dernier…
A ses côtés, Evin, surpris, encaisse son mot dire. Mais le tollé est immédiat en dehors et même dans la majorité. La double sortie du nouveau promu lui vaudra son limogeage du gouvernement le jour même. Il figure depuis dans les annales de la Ve République pour la brièveté de sa carrière ministérielle. 9 jours : record tout juste égalé par l’infortuné Thomas Thevenoud qui dû se résoudre à lâcher son portefeuille à Bercy l’an passé à peine nommé dans le premier gouvernement Valls… A ce dernier, on a trouvé immédiatement un successeur. On ne remplace pas en revanche un bonhomme de la carrure du célèbre professeur. Léon Schwartzenberg n’eût donc pas de successeur. En tout cas pas tout de suite. Pendant deux ans, Claude Evin pris en direct les rênes de la santé, avant de se faire épauler par un centriste, Bruno Durieux, qu’il n’avait pas choisi : un tandem qui tenait davantage de la cohabitation que de l’équipe…
Deux mois plus tard, le 5 septembre 1988, les explications du Pr Schwartzenberg lors de l'émission "L'heure de vérité"
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