De tous ses prédécesseurs, il paraissait sans doute le plus taillé pour la fonction. Généticien reconnu, auteur de nombreux ouvrages, ancien membre du Comité d’Ethique, président de groupe parlementaire… Lorsque Jean-François Mattei est nommé ministre de la Santé le 7 mai 2002, tout le monde s’y attend. La première année, il fait d’ailleurs un parcours sans faute, centré sur la préparation de la première loi quinquennale de santé publique, avec une communication verrouillée, qui ne laisse place à aucune improvisation. C’est donc presque avec le sentiment de la mission accomplie que le professeur aux fines lunettes et aux allures de cardinal se rend début août 2003 dans sa maison du Var pour des vacances bien méritées.
Par malchance, c’est dans ce contexte émollient qu’une des plus graves crises sanitaires de ces dernières années s’invitera au cœur de l’été. La France est en congés. Comme d’habitude, on a fermé des lits hospitaliers pendant cette période. Or du 4 au 15 août, le thermomètre flirte un peu partout avec les 40°. Dès le 7 août, la situation dégénère et les hôpitaux parisiens ont du mal à faire face. L’urgentiste Patrick Pelloux donne de la voix. On parle de près de 3000 morts supplémentaires… La surmortalité s’établira en réalité à plus de 16 000 ! Et l’opinion commence à s’émouvoir sérieusement. Le 11 août, François Hollande, alors premier secrétaire du parti socialiste accuse l’exécutif de passivité…
Pour le gouvernement Raffarin, il faut réagir. Et c’est tout naturellement vers le ministre de la Santé que se tournent les médias. L’interview aura lieu en direct le 11 août dans le 20h de TF1, la plus grosse audience des JT… Mattéi accepte, et se soumettra à l’exercice en duplex de sa résidence secondaire : il intervient à l’ombre des pins en polo noir décontracté et se veut apaisant, paraissant loin, très loin des réalités du moment. L’effet de sa prestation sur l’opinion sera désastreux. Et cette boulette fera ensuite de Mattei un ministre en sursis, avant le remaniement de mars 2004 qui scellera son départ du gouvernement. Le 18 août, il accepte la démission du Directeur général de la santé, Lucien Abenhaïm, mais ce départ ne fait qu’amplifier l’affaire, sur fond de désaccords entre le ministre et son DGS…
Cet incident a couté à Jean-François Mattei sa carrière politique : il n’a jamais tenté de récupérer son siège de député par la suite. Le Professeur de médecine a pourtant mis beaucoup de temps avant de reconnaître son erreur. Neuf ans plus tard, il est néanmoins revenu sur ce couac de communication, admettant qu’il avait été « à côté de la plaque » ce soir là : «Là, j’ai été bête. Au lieu de rentrer à Paris, j’accepte d’accueillir chez moi le camion de TF1: première bêtise. Ensuite, l’équipe de télévision préfère faire l’interview à l’extérieur et je cède: deuxième bêtise. (…) Je reste donc en polo: troisième bêtise», a –t-il expliqué à un journaliste du Monde.
Cette histoire est restée dans toutes les mémoires comme le « syndrome Mattéi » qui obsède depuis lors tous les ministres de la Santé à la moindre crise sanitaire et particulièrement lorsqu’elle éclate en été. Pour s’en rendre compte, il a suffi d’observer l’attention quotidienne de Marisol Touraine lors l’épisode de chaleur du début de l’été 2015… Un an après l’affaire, en 2004, un mémoire de sociologie lui a même été consacré. Où l’on apprend qu’en réalité le polo, l’attitude décontractée, l’intervention depuis sa résidence secondaire, tout cela avait été suggéré au ministre par le conseiller en communication du premier ministre Raffarin, lui-même, qui pilotait à distance l’opération… Dans son esprit, il s’agissait, paraît-il, de ne pas affoler l’opinion…
"J’ai été un bouc émissaire" par Europe1fr
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