Dans une tribune publiée mercredi 8 mai sur le site de « l'Express », plus de cent médecins libéraux et hospitaliers expriment avec force leur refus du fichage des Gilets jaunes admis aux urgences les jours de manifestation et appellent leurs confrères à s'opposer aux directives de leur administration allant dans ce sens.
La polémique remonte à la mi-avril. Le Dr Gérald Kierzek, urgentiste à l'Hôtel-Dieu (AP-HP) et chroniqueur santé, publie alors un tweet dans lequel il évoque une consigne qui lui est donnée d'informer systématiquement l'administrateur en cas d'admission d'un patient appartenant aux Gilets jaunes.
Deux articles du « Canard enchaîné », une plainte et trois communiqués de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) plus tard (dont un évoquant des « patients fictifs » et blâmant les erreurs d'un stagiaire) et l'affaire fait la une de tous les journaux.
Dérive inacceptable
Professeurs, politiques ou grands noms de la médecine, les cent premiers signataires de cette nouvelle tribune sont pour l'essentiel des habitués des médias. On y retrouve les Prs André Grimaldi (ancien chef du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière) ou Guy Vallancien (urologue et membre de l'Académie nationale de médecine). Y figurent aussi le Dr Xavier Emmanuelli, cofondateur de Médecins sans frontières et plusieurs représentants syndicaux comme les Drs Jean-Paul Hamon (FMF), Jérôme Marty (UFML), Philippe Cuq (Le BLOC), Emanuel Loeb (Jeunes Médecins) ou Patrick Pelloux (AMUF). Différentes personnalités politiques complètent la liste comme le Dr Bernard Jomier (sénateur de Paris), l'ancien responsable santé du PS, le Dr Claude Pigement, ou le Dr Gérard Bapt, député honoraire, ancien président de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le Mediator.
Un certain nombre de médecins très actifs sur les réseaux sociaux ont aussi paraphé le document : le Dr Gérald Kierzek, à l'origine de la polémique, la militante LFI Sabrina Ali Benali ou l'écrivain Christian Lehmann, pour ne citer qu'eux.
Le Dr Philippe Denormandie, directeur des relations santé de Nehs (actionnaire du « Quotidien ») et chirurgien à l'hôpital de Garches, fait également partie de la liste des signataires.
« Nous, médecins, rappelons notre attachement viscéral au secret professionnel. C'est pourquoi nous refusons la délation des Gilets jaunes blessés arrivant aux urgences », écrivent les signataires de la tribune qui appellent à « un devoir de désobéissance éthique ».
« Nous nous opposons à tout autre fichage des patients sans leur consentement », poursuivent les médecins en faisant allusion à l'ouverture du dispositif SI-VIC, pour « système d’information pour le suivi des victimes », les jours de manifestations des Gilets jaunes en Île-de-France et ailleurs.
Ce fichier, censé contenir des informations strictement non médicales sur les patients pour faciliter la coordination entre les établissements et l'identification des personnes prises en charge, est prévu pour les « situations sanitaires exceptionnelles » comme les attentats.
« Patients, imaginez que vous alliez à l'hôpital et que votre présence, votre identité, voire des informations médicales, ne soient plus confidentielles et immédiatement communiquées à des tiers dans un fichier parallèle à votre dossier médical, fichier dans lequel vous seriez inscrit par exemple en raison de votre appartenance politique, sexuelle, religieuse ou ethnique ? », alertent les médecins.
Ils vilipendent « le dévoiement depuis cinq mois » du dispositif SI-VIC et son détournement « par l'administration hospitalière et les agences régionales de santé ». Dans leur viseur figurent tout particulièrement l'AP-HP et l'ARS Île-de-France dont « les tentatives de communication, de justification et, finalement de diversion » sonnent à leurs oreilles comme « autant d'aveux de culpabilité ».
« Nous sommes face à l'institutionnalisation d'une dérive inacceptable », tonnent-ils.
Enquête parlementaire
Les signataires rappellent leur attachement au respect du secret professionnel, qualifié de « pilier ancestral » de la profession. « Nous, médecins, faisons donc face à une injonction irréalisable au regard de notre éthique et de notre déontologie », affirment-ils. Ils vont plus loin en qualifiant de « parfaitement antidéontologique » l'existence même d'un fichier parallèle.
En conséquence de quoi ils demandent l'ouverture d'une enquête parlementaire et l'arrêt immédiat de l'utilisation du fichier SI-VIC pour les mouvements sociaux. « Comme l'histoire l'a montré maintes fois, face à l'indigne les médecins n'ont pas vocation à obéir, et ont su résister, parfois au péril de leur vie pour respecter le serment d'Hippocrate dans l'intérêt des patients et des citoyens », peut-on lire en guise de conclusion.
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