Jours de carence, performance, ALD… : l’ordonnance choc du Medef pour trouver 6,5 milliards d’économies

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Publié le 09/07/2025
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Le président du Medef Patrick Martin a dévoilé ce mercredi 93 propositions pour réaliser jusqu’à 6,5 milliards d’économies « à court terme », mobilisables dès le budget de la Sécu pour 2026. Suppression de la carte Vitale physique, Mon espace santé « obligatoire », rémunération à la qualité en ville comme à l’hôpital, jour de carence non indemnisé font partie de l’ordonnance du patronat.

De gauche à droite : Yves Laqueille, Patrick Martin et Frédéric Van Roekeghem.

De gauche à droite : Yves Laqueille, Patrick Martin et Frédéric Van Roekeghem.
Crédit photo : Léo Juanole

Les patrons sont enfin sortis du bois sur le système de santé et l’Assurance-maladie. À une semaine des annonces du Premier ministre en vue des textes budgétaires pour 2026, la conférence de presse du Mouvement des entreprises de France (Medef), ce 9 juillet, était tout sauf le fruit du hasard.

Son président, Patrick Martin, a dévoilé pas moins de 93 propositions pour maîtriser la croissance des dépenses de santé, avec jusqu’à 6,5 milliards d’économies « à court terme », dès le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). La tour Eiffel dans son dos, le patron des patrons intervenait aux côtés d’Yves Laqueille, vice-président de la Cnam au titre du Medef, et l’ex-DG de la Cnam Frédéric van Roekeghem, qui a copiloté ces travaux, trois ans après la dernière prescription du genre de l’organisation patronale.

Cette fois, « il y a urgence à agir », a plaidé Patrick Martin, rappelant les déficits abyssaux auxquels l’Assurance-maladie fait face : 16 milliards pour la seule branche maladie pour 2025, sans compter un déficit de trois milliards pour les hôpitaux publics. Le Medef a fait valoir d’emblée que les employeurs sont très légitimes à s’exprimer sur le système de santé en leur qualité de contributeurs financiers massifs, à hauteur de 110 milliards d’euros (directement ou indirectement).

Indicateurs de performance des pratiques, rémunération à la qualité

En plus d’inciter à une loi de programmation quinquennale en santé, le Medef insiste particulièrement sur l’« effort de qualité et de pertinence des soins », évoquant la « culture de performance » pour piloter la transformation du système de santé. Car selon Frédéric van Roekeghem, « nous sommes en retard ». Il s’agit en premier lieu de construire avec les sociétés savantes, la HAS et l’Académie « des indicateurs de qualité et de performance des pratiques professionnelles de praticiens ». Ces travaux démarreraient en priorité par les dix pathologies chroniques les plus répandues. En ce sens, une partie croissante de la rémunération des professionnels de santé pourrait être conditionnée au respect de ces recommandations. Il s’agit, peut-on lire, d’une incitation aux bonnes pratiques de prescription « par une Rosp/FMT [rémunération sur objectifs/forfait médecin traitant] réévaluée et recentré sur la qualité des soins ».

Il en est de même pour les établissements de santé à travers une incitation financière à la qualité (Ifaq) revalorisée et intégrée pleinement dans la rémunération des hôpitaux et des cliniques, « en l’articulant avec les revalorisations tarifaires, afin de rémunérer la qualité », peut-on lire. Ainsi, le poids de cette tarification à la qualité pourrait atteindre « progressivement 10 % de la rémunération totale ». Pour encourager « l’accompagnement vers l’ambulatoire, aujourd’hui moins rémunérateur que l’hospitalisation », un « signal prix » (révision des forfaits ambulatoires, participation des complémentaires), à budget constant, permettrait d’économiser jusqu’à 800 millions d’euros.

Exit la carte Vitale physique, Mon Espace santé obligatoire

Un large volet des économies doit provenir de la digitalisation du système de santé, jugée trop lente. Pour « faire du numérique et de l’innovation les leviers d’amélioration de l’efficience et de la transparence », le Medef appelle à rendre obligatoire Mon espace santé, devenu un « passage obligé », « en systématisant sa consultation par les médecins, pour certaines prescriptions, afin d'éviter les examens redondants ».

Il convient aussi de généraliser l’ordonnance numérique, de dématérialiser à 100 % les procédures (notamment pour les arrêts de travail) mais aussi de supprimer la carte Vitale en version physique au profit d’une carte numérique. Autre préconisation : le recours accru à l’intelligence artificielle (IA) en médecine de ville et le partage des données entre la Cnam et les complémentaires dans la lutte contre la fraude. Au total, jusqu’à 2,1 milliards d’économies seraient envisageables avec ces mesures liées.

Sus aux surprescripteurs d’IJ

Selon le Medef, le plus grand gisement porte sur la consommation de soins et de biens de santé, avec jusqu’à 2,5 milliards d’économies potentielles calculées. Premier chantier : les indemnités journalières (IJ), dont les dépenses ont bondi de 28 % entre 2019 et 2023. Le Medef propose d’instaurer « un ou plusieurs jours de carence d’ordre public » non indemnisés par la Sécurité sociale et non pris en charge par les employeurs. À cette mesure s’ajouterait la fin de la prise en charge du délai de carence par l’employeur « à partir du troisième arrêt dans la même année civile » (sauf pour les personnes en ALD), comme c’est déjà le cas dans le secteur de la banque. Le Medef appelle aussi à une forfaitisation des IJ (rendues identiques pour tout le monde) pour simplifier leur gestion. L’ensemble de ces mesures pourraient procurer 600 millions d’économies.

L’organisation patronale veut aussi mieux encadrer les praticiens car « les médecins prescripteurs doivent, lors de l’enregistrement en ligne, respecter les durées recommandées par les autorités de santé ». Le Medef va plus loin en voulant instaurer, dans certaines situations, une validation de l’arrêt de travail par l’Assurance-maladie pour des médecins informés de leur fort taux de prescription (comme cela existe déjà). Pour ceux dont la prescription d’IJ est jugée « anormale », le Medef propose de renforcer le dispositif de mise sous accord préalable (MSAP) par « une mesure temporaire d’interdiction de délivrance d’arrêts de travail ».

Revoir le dispositif ALD

Côté assurés, le plan santé du Medef propose d’actualiser la liste des ALD et de revoir leurs critères d’éligibilité. L’organisation entend au passage « harmoniser les contrôles d’admission et de renouvellement », en s’appuyant davantage sur les écarts de consommation de soins, ainsi qu’assurer le strict respect de l’ordonnancier bizone. Le patronat propose également de « supprimer l’exonération du ticket modérateur » pour certains actes et produits, comme les médicaments à faible service médical rendu ou les traitements thérapeutiques non spécifiques de l’affection.

Et pour décloisonner le système de santé, le Medef veut, de façon plus classique, favoriser les parcours mixtes, inciter au regroupement des généralistes et/ou des spécialistes ou encore autoriser l’embauche d’infirmiers salariés pour les médecins de ville.

Mais l’organisation avance aussi l’idée d’un travail « sur les écarts de rémunération entre les médecins » par spécialités ainsi que celle d’un réexamen de la cartographie des spécialités pour anticiper l’arrivée de technologies nouvelles et envisager « un redéploiement progressif des effectifs vers d’autres spécialités où les besoins sont croissants ». Autre idée : questionner la durée des études de médecine pour « éviter une surspécialisation inefficace des médecins », peut-on lire.

Refondre le contrat responsable

Pas en reste sur les complémentaires santé, le Medef appelle à refondre les obligations de prise en charge du contrat responsable : « possibilité de ne plus prendre systématiquement en charge les tickets modérateurs, le 100 % santé, le forfait journalier et les transports », ainsi que la possibilité d’introduire des délais de carence et des mécanismes d’entente préalable « de façon à promouvoir le juste recours aux soins ».

L’organisation patronale propose également de confier aux mutuelles la prise en charge complète des frais d’optique et d’audiologie, ainsi que d’allonger les délais de renouvellement ou encore de réviser le cadre du dispositif du « 100 % santé ». Ces mesures pourraient rapporter jusqu’à 800 millions.

La TVA sociale toujours sur la table !

Enfin, côté prévention, le Medef veut accentuer la vaccination en entreprise, notamment pour la grippe. Il souhaite engager une réflexion sur la prise en charge à 100 % des vaccins importants ciblés par les campagnes nationales. Dans un second temps, la prise en charge des IJ et des compléments de salaire pourrait être modulée si un salarié refuse de se faire vacciner…

Quid de la TVA sociale pour doper les recettes ? Le principal intéressé confie qu’il n’a « pas enterré » cette proposition et note que « le sujet émerge dans le débat public moins négativement ces jours-ci que jusqu’alors ».

La majorité des propositions du patronat relèveraient du réglementaire ou du législatif. « Je ne crois pas que s’enfermer dans une chapelle soit la bonne méthode », ironise Patrick Martin, chassant de ses souvenirs l’échec du « conclave » sur les retraites.


Source : lequotidiendumedecin.fr