Le monde de la santé, comme tous les autres secteurs, attend désormais son sort, plongé dans le brouillard du grand chambardement politique en cours. Après le revers cinglant de la majorité aux élections européennes, Emmanuel Macron a fait le choix de dissoudre l’Assemblée nationale pour relancer son quinquennat. Une décision qui emporte tout et ouvre la voie à de nouvelles élections législatives, programmées le 30 juin et le 7 juillet. Projets de loi, travaux parlementaires, commissions d’enquête, groupes de travail : la représentation nationale comme l’action politique se retrouvent en grande partie à l’arrêt. Et la santé n’est pas épargnée.
Temps suspendu à l’Assemblée, projet de loi de fin de vie aux orties
Si le Sénat n’est pas concerné par le coup d’éclat du président de la République, l’Assemblée, qui ferraillait depuis quinze jours sur le projet de loi sur la fin de vie, est déjà mise sous cloche. Le temps y est suspendu, les députés et leurs collaborateurs sont au chômage technique. Ceux qui sortiront des urnes le 7 juillet n’étant pas forcément ceux qui siègent aujourd’hui, l’intégralité du travail mené sur le texte depuis le 22 avril est considéré comme nul et non avenu. Pour espérer une issue favorable, le projet de loi sur la fin de vie devra être réinscrit après les élections à l’agenda parlementaire par le nouveau gouvernement, s’il le souhaite. « Je suis triste de voir la loi fin de vie brutalement stoppée », s’est désolé sur le réseau social X, Olivier Falorni, rapporteur général du texte.
Plus largement, les travaux en cours au Palais-Bourbon sont interrompus et l’ordre du jour est tombé. Mardi, l’audition du ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux – sur le rôle de son ministère dans la défense globale par la commission de la défense nationale et des forces armées – est annulée. Idem mercredi pour celle du directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) Nicolas Revel par le groupe de travail chargé de la préparation des Jeux olympiques et paralympiques.
Les initiatives parlementaires du groupe Liot aux oubliettes
Très engagé sur la santé et l’accès aux soins, le groupe Liot (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires) voit l’examen de plusieurs propositions de loi santé (création d’un CHU en Corse, généralisation de la connaissance et la maîtrise des gestes de premier secours) renvoyé aux calendes grecques.
Les commissions d’enquête sont aussi bloquées. Lancée fin mars pour un rapport attendu en octobre, la commission d’enquête du groupe Liot sur les difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public est au point mort. Les députés devaient recevoir cette semaine plusieurs directeurs généraux d’ARS, les ordres professionnels et les associations d’élus (maires et régions). Amer au regard du travail de longue haleine fourni par le groupe Liot, l’entourage du président Bertrand Pancher affirme que tous les élus du groupe se représenteront aux urnes, dans un esprit d’opposition « à la méthode et au projet d’Emmanuel Macron ». Ces élus appellent la gauche à les considérer « comme des alliés » et à ne pas positionner de candidats face aux leurs.
D’autres travaux législatifs sur la santé risquent de connaître un sort variable. Chez Les Républicains (LR), le Dr Yannick Neuder fait partie des chanceux. Le cardiologue sauve la peau de sa proposition de loi (PPL) sur le rapatriement des carabins français expatriés. Voté à l’Assemblée, le texte continuera sa navette parlementaire au Sénat. Mais le médecin s’interroge encore sur son avenir personnel.
Ce n’est pas le cas de son collègue LR Jean-Louis Thiériot, lui aussi investi sur les questions de santé. L’élu de Seine-et-Marne confirme ce lundi au Quotidien la volonté de se représenter. En revanche, le sort de sa proposition de loi visant à ouvrir le secteur 2 à tous les médecins d’Île-de-France, déposée mi-avril sans avoir été jusque-là examinée, est très incertain. Ironie de l’histoire, le député LR avait travaillé son texte dans un esprit transpartisan. Perdurera-t-il une fois les élections passées ?
Les ministres pieds et poings liés
Auditions stopées, déplacements en pointillé… Le débrayage imposé par Emmanuel Macron fait également son lot de dommages collatéraux du côté du ministère de la Santé, où Catherine Vautrin, Frédéric Valletoux, Fadila Khattabi (personnes âgées, handicap) et Sarah El Haïry (enfance, jeunesse et famille) se retrouvent pieds et poings liés.
Rescapé du Conseil national de la refondation (CNR) en santé, lancé par l’ex-ministre de la Santé François Braun, le CNR sur la santé mentale a été confirmé et va s’ouvrir ce mercredi à Paris, a précisé Ségur au Quotidien, a priori en présence de deux ministres (Frédéric Valletoux et la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot) et du Haut-commissaire François Bayrou. Mais rien ne dit que ce sujet sera remis sur la table après les législatives. Là encore, c’est le nouveau gouvernement et sa majorité qui auront la main. Frédéric Valletoux sera en revanche absent des Assises nationales de l'accès aux soins, qui se déroulent jeudi à Vendôme (Loir-et-Cher), explique l’entourage du ministre délégué.
Dans les bureaux de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) comme dans les cabinets ministériels, le dialogue social est de facto paralysé. Les groupes de travail et les commissions sur la retraite des hospitalo-universitaires, les violences sexuelles et sexistes à l’hôpital sont en pause. Le travail de fond fourni par les ministères (Santé, Enseignement supérieur) et les représentants des étudiants sur la 4e année d’internat de médecine générale, la parentalité et la réforme de l’accès aux études de santé est lui aussi en suspens. Quant au très politique chantier sur l’attractivité des carrières médicales à l’hôpital, qui a déjà eu du mal à prendre forme au regard de l’instabilité politique à la tête de Ségur depuis 2017, il est lui aussi à l’arrêt, confirme la Dr Anne Wernet, présidente du syndicat de praticiens hospitaliers Snphare.
En médecine de ville au contraire, la dissolution de l’Assemblée ne devrait avoir aucun impact sur l’application de la nouvelle convention médicale, signée il y a quelques jours. L’approbation du ministre étant acquise, la publication au Journal Officiel ne devrait pas tarder, avec son calendrier d’application.
Le retour des technos ?
Et maintenant ? Les trois semaines à venir vont donner lieu à une campagne éclair, qui débutera officiellement le 17 juin. Les aspirants à la députation peuvent déposer leur candidature du mercredi 12 au dimanche 16 juin. Le temps est très court mais dans la nouvelle bataille des programmes qui s’annonce, les questions de santé et d’accès aux soins – sujets de proximité par excellence avec l’éducation et le pouvoir d’achat – pourraient prendre toute leur place.
Plusieurs députés experts des questions de santé, comme Jean-Carles Grelier (majorité présidentielle) se posent des questions sur leur avenir au Palais-Bourbon. Au-delà, l’ancien maire de La Ferté-Bernard juge que le chef de l’Etat a commis « une bêtise monumentale » avec cette dissolution à la hussarde. L’élu anticipe déjà le retour des « technos » dans la rédaction en cours du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 – sans ministres ni parlementaires mobilisés. Le brouillard, toujours.
[Mise à jour le 11 juin à 19 heures : Frédéric Valletoux, Fadila Khattabi et Sarah El Haïry se présentent aux législatives ; le CNR santé mentale prévu mercredi 12 juin est annulé]
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