Laurent Degos : "Toutes les lois promulguées en santé ont été de simples rustines posées sur le système"

Publié le 04/05/2017
couverture Laurent Degos

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Décision Santé. Quel est votre regard sur la campagne électorale ?

Laurent Degos. Tout ce qui a été proposé à droite comme à gauche ne relève pas du grand débat d’idées. On a parlé certes de l’hôpital, des déserts médicaux, du numerus clausus, des inégalités. Pour apporter des solutions à ces questions, toutes les lois promulguées ont été des simples rustines posées sur le système. La dernière loi de santé en est l’illustration. De 57, on est arrivé à la fin du marathon parlementaire à 227 articles. Une loi plutôt que de répondre aux demandes devrait porter une vision claire reposant sur des valeurs communes. Les articles en déclineraient ensuite les principes.

Ce partage d’une vision globale est d’autant plus nécessaire que les grands progrès en médecine ont remis en cause tous nos repères anthropologiques. Le prélèvement chez un homme sain était par exemple contraire aux valeurs partagées par les communautés humaines. Mais sauver autrui est un principe supérieur à l’interdiction naturelle de mutiler un corps sain, comme l’avait rappelé le Père Tesson. Puis, on a changé la définition de la mort en introduisant le concept de mort cérébrale, et on est contraint de réfléchir sur le début de la vie de la personne ou les modifications du génome. Pour faire accepter ces révolutions médicales, un principe a été mis au-dessus des autres, « sauver autrui ». Aujourd’hui, cette frontière a changé. La barre a été placée encore plus haut : c’est désormais « soigner autrui », ce qui ouvre un débat éthique.

Mais pour ce qui relève du soin, de sa prise en charge, on n’a pas réalisé cette recherche de consensus. La valeur en santé ne se réduit pas à défendre l’hôpital public, l’équilibre budgétaire, ou maintenir l’emploi. En l’absence de grands principes, chacun défend sa catégorie. Un même diagnostic est certes partagé mais les solutions sont dissonantes. D’où l’idée de partir d’une valeur commune acceptée, à savoir il faut moins de morts, de maladies, une meilleure qualité de vie par euro dépensé. C’est le résultat pour le patient qui importe qui correspond au numérateur, tout en respectant la régulation de la dépense qui est le dénominateur. Si l’on admet que la valeur du système repose bien sur le résultat pour le patient, l’organisation de notre système de santé a tout faux. Avec cette option, l’évaluation devrait comprendre tout le cycle de soin, à commencer dès le premier symptôme du patient et jusqu’à la guérison ou une maladie chronique contrôlée. À la fin du parcours de soin, on évaluerait le résultat de la prise en charge et non plus au moment de chaque étape, depuis la consultation par le médecin généraliste jusqu’aux soins de suite.

 

D. S. Votre constat signifie-il que le débat autour de la politique de santé est préempté par les professionnels défendant leurs intérêts catégoriels ?

L. D. Non, simplement tout a été fragmenté parce qu’on a suivi une logique industrielle. Dans cet univers, la maîtrise passe par la segmentation tant sur le critère de l’efficacité que celui de la sécurité. On a même séparé le financement assuré pour la ville par l’assurance maladie, l’hôpital par le ministère à travers la DGOS, l’autonomie par la CNSA. Cette fragmentation s’oppose à un regard clair sur le parcours, obscurci encore par la non-fongibilité des enveloppes attribuées à chaque secteur au niveau régional. Que voit-on dans la loi de Marisol Touraine ? La mise en place des groupements hospitaliers de territoires (GHT) et des plateformes d’appui pour la ville. Or il n’y a rien de prévu pour que ces deux secteurs communiquent entre eux.

 

D. S. Pourtant, vous rappelez dans votre livre le discours de Jean-Marc Ayrault à Grenoble où il défendait le principe du parcours de soins. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de suite politique à cette déclaration ?

L. D. Parce qu’il aurait fallu changer d’optique avec cette division artificielle entre la ville et l’hôpital. Et surtout le ministère de la Santé s’est refusé à laisser à d’autres la gestion de l’hôpital encore sous son contrôle. Il a arrêté net cette vision intégrée. D’où sa posture : « Je défends l’hôpital public », alors que l’hôpital du futur sera en lien direct avec la ville et le domicile du patient. Cette fragmentation interdit une évaluation du résultat. Aujourd’hui, on se contente de l’évaluation des procédures. Or, il n’y a pas de corrélation entre les procédures et le résultat, comme l’attestent de nombreuses études. Cela est démontré. Les paiements à la performance n’entraînent par exemple aucune amélioration. La Rosp versée chaque année au médecin généraliste n’a pas eu d’effet clinique démontré pour le patient. Autre conséquence de cette fragmentation, on n’en rémunère que des volumes, l’activité à l’hôpital, l’acte en ville. Or, les enveloppes sont fixes. Comme chaque acteur notamment hospitalier dans le même temps a développé son activité pour obtenir davantage de ressources, on baisse au final les tarifs. Ce qui génère une inflation d’activité pour maintenir un financement égal, et donc un burn-out. Prenons l’exemple des GHT ? Quelle valeur a présidé à leur création, Quel cap a été fixé aux hôpitaux ? Le seul objectif au final est d’en avoir recensé 135, et non la recherche d’un résultat clinique.

D. S. Il y a pourtant le projet médical…

L. D. Certes, mais aucun objectif national clinique n’a été fixé.

D. S. Pourquoi la campagne électorale n’a-t-elle pas permis de partager cette vision ?

L. D. L’assurance maladie, le ministère de la Santé et la CNSA n’arrivent pas aujourd’hui à collaborer ensemble. Le financeur s’efforce de tout contrôler. Il a même les critères d’évaluation pour la Rosp3. Ce qui a été rejeté par les médecins au Royaume-Uni. En fait, il manque en France un intermédiaire entre le financeur et les producteurs de soins. Les agences régionales de santé (ARS) devraient jouer ce rôle. On ne leur a pas encore donné les moyens de le faire. C’est pourtant un levier aisé à lever. La segmentation est, on l’a déjà évoqué, l’autre obstacle. En santé, au volume, médecins et malades préféreraient pourtant la qualité du soin. En copiant l’industrie sur les processus, on ne regarde pas le résultat. On se trompe totalement de cible. Nous disposons en fait de tous les instruments pour opérer une réforme profonde basée sur le résultat pour le malade. Il suffit d’apporter des ajustements.

D. S. Que faites-vous de la dépense ?

L. D. Les différences d’approches sont importantes entre les cultures anglaise, allemande et française, comme je l’ai développé dans le livre. La première défend le principe de l’utilité collective emprunté aux économistes. En France, on est davantage attaché à l’intérêt individuel, à la perte de chance, à l’égalité. Enfin en Allemagne, c’est plutôt le concept de responsabilité qui domine. Quel principe sera choisi ? Quelle valeur sociale souhaitons-nous privilégier lorsque l’Europe sera réalisée ? Prenons un exemple pour illustrer ce fossé culturel : en Grande-Bretagne encore récemment, si un patient atteint d’un cancer achetait un médicament non remboursé comme l’herceptine pris en charge sur le continent, il perdait tous ses droits. Cela illustre l’esprit communautaire. On est ou pas dans la communauté. En France, ce type de réponse nous paraît aberrant. Et illustre le fossé culturel entre l’utilitarisme anglais, loin de l’égalitarisme à la française.

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Contact : elisabete.pereira@gpsante.fr

 

 

Le livre de Laurent Degos : Quelle politique de santé pour demain aux éditions Le Pommier, collection Essais Manifestes.

Propos recueillis par Gilles Noussenbaum

Source : lequotidiendumedecin.fr