Après plus de deux heures de débat le 7 novembre, la majorité sénatoriale a supprimé l’aide médicale d’État (AME) pour la transformer en « aide médicale d’urgence » (AMU), dans le cadre de l'examen du projet de loi immigration.
Si elle était définitivement adoptée en l'état, cette réforme impliquerait forcément une réduction du panier de soins accordé aux étrangers en situation irrégulière (présents en France depuis au moins trois mois). La couverture de cette aide médicale d'urgence serait ainsi recentrée sur « la prophylaxie et le traitement des maladies graves et de douleurs aiguës », « les soins liés à la grossesse et ses suites », « les vaccinations réglementaires » et « les examens de médecine préventive ». Les sénateurs ont ajouté à ce panier « les soins urgents dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître ». Autre ajout, la durée préalable de présence sur le territoire « depuis plus de trois mois ». Aussi, un rapport devrait être présenté par le gouvernement chaque année, sur les coûts et l’impact de l’AMU sur la santé publique.
La gauche furieuse
Dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg, les débats ont été animés, âpres et longs. Le gouvernement – lui-même tiraillé sur ce dossier – a ponctué son argumentaire d’un « avis de sagesse », même si la ministre déléguée aux Professions de santé Agnès Firmin Le Bodo a livré un véritable plaidoyer en faveur de cette aide médicale pour les sans-papiers. « L’AME en tant que telle n’est pas un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration dans notre pays », a-t-elle défendu avec force, ajoutant que « le gouvernement est très attaché à l’AME », dispositif « qui ne donne pas lieu à des dérives spectaculaires ou de soins de confort ». De plus, selon elle et le gouvernement, ce débat « ne concerne pas ce texte de loi sur l’immigration ».
Des propos faisant écho à ceux de toute la gauche sénatoriale qui s’est mobilisée pour tenter, en vain, de convaincre l’aile droite de la chambre haute. Tour à tour, communistes, écologistes et socialistes se sont relayés à la tribune pour exprimer leur opposition totale à une suppression de fait de l'AME. « 50 % des personnes éligibles à l’AME y renoncent », a recadré Anne Souyris, émue. « Aucune personne ne monte sur un radeau de fortune pour l’AME », a abondé le Dr Bernard Jomier, chaudement applaudi. « On ne joue pas avec la santé des Français : comment, après le Covid-19, peut-on laisser des personnes être des vecteurs d’épidémie ? », a aussi alerté Yannick Jadot. « Il n’y a pas d’abus de droit : c’est une fiction qui conforte une idéologie qui ne fait pas honneur à la France », a lancé de son côté Victorin Lurel, excédé. « C’est un article de la honte, injuste et inhumain », a carrément asséné Yan Chantrel. « Comportez-vous en républicains ! » a interpellé enfin Laurence Rossignol.
Vieilles lubies de l'extrême droite
Même Xavier Iacovelli (Renaissance, majorité présidentielle) y est allé de son argumentaire. « Il faut sortir des vieilles lubies portées par l’extrême droite : ces personnes ne sont pas arrivées en France pour se soigner, mais pour fuir la misère ou la dictature ! » Ajoutant qu’un passage aux urgences coûte jusqu'à 2 000 euros à la Sécu, quand une consultation de médecine de ville coûte, à date, moins de trente euros…
Peu de sénateurs Les Républicains (LR) ont pris la parole. Alain Joyandet, nostalgique des années Sarkozy (2007-2012), a rappelé que son président « avait réduit l’AME » et que son coût a « baissé de près de 40 % pour les dépenses publiques », ajoutant que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » d'où la nécessité de « mettre un frein à l’appel d’air de l’AME ». Le président du groupe LR Bruno Retailleau a mis sa pierre à l’édifice. « Nous n’avons aucune leçon d’humanisme à recevoir de personne ! », s’est-il exclamé, pointant du doigt les positions différentes des ministres concernés (Darmanin s’était dit pour l’AMU « à titre personnel » dans Le Parisien). Le sénateur a cité l’Allemagne, la Suède, le Danemark et l’Italie, qui ont un panier de soins similaire à celui voulu par la droite. « Ont-ils de graves problèmes de santé publique ? », a-t-il interrogé.
La rapporteure de la commission des lois Muriel Jourda (LR, Morbihan) a tenté de calmer le jeu, assurant qu’il n’y aurait « nul abandon des étrangers en situation irrégulière et nul risque pour les Français d’épidémies incontrôlées faute de soins ».
Cavalier législatif ?
Dans ce débat vif, le patron des LR a eu gain de cause : sur 336 suffrages exprimés lors du scrutin public, 200 sénateurs (dont 133 de son groupe) ont voté pour cette suppression de l’AME et 136 contre. Mais selon le socialiste Patrick Kanner, dépité par la tournure des débats, cette réforme serait « un cavalier législatif, censuré quoi qu’il arrive par le Conseil constitutionnel ».
Interrogé à chaud sur le plateau de Quotidien, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a qualifié la décision du Sénat de « profonde erreur et à certains moments, l’erreur confine à la faute ». Il a rappelé son attachement à l'AME, « principe d’humanité, de santé individuelle et de santé publique », citant l’exemple de l'Espagne, qui est revenue sur sa réforme après une hausse de la mortalité. « L’AMU n’est pas la réponse », a-t-il souligné, ajoutant toutefois que « s’il y a des trucs à bouger, nous bougerons des trucs » après les conclusions attendues de la mission Evin-Stefanini.
Le Sénat vient d'adopter la suppression de l'aide médicale d'État (AME) pour les sans-papiers dans le cadre de la loi immigration.
— Quotidien (@Qofficiel) November 7, 2023
« C'est une faute » assure le ministre de la Santé @aur_rousseau chez #Quotidien, qui veut mettre fin à toutes « une série de fantasmes » sur le… pic.twitter.com/2U0Mu3y8WR
D’ici là, le texte sera étudié à l’Assemblée nationale à partir du 11 décembre et promet de nouveaux échanges très animés. Avec, comme interrogation principale, l’annulation de cette réforme ultrasensible par les députés. Mais sous la pression de LR qui menace de ne pas voter le projet de loi immigration si la réforme de l’AME n’y figure plus, le gouvernement prendra-t-il le risque de retirer totalement cette mesure ? Rififi à venir dans les rangs de la majorité…
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