Des « redondances », des « curiosités » et des « absents ». La liste des médicaments « essentiels », dévoilée le 13 juin par le ministère de la Santé parmi d’autres mesures destinées à lutter contre les pénuries, suscite des interrogations. Près de 450 médicaments y figurent, dont « plus de 40 % des médicaments qui ont eu des déclarations de rupture dans les deux dernières années », souligne le ministère.
« Pour ces molécules, les industriels devront avoir quatre mois de stocks », indiquait François Braun au « Parisien », le jour même. Auditionné deux jours plus tard au Sénat, le ministre précisait : « L’établissement des médicaments essentiels nous permet de mieux les identifier, les contrôler et pour chacun d’entre eux réaliser une cartographie des risques depuis la production du principe actif jusqu’à la dispensation en pharmacie ». L’hiver dernier, a-t-il rappelé, « j’ai pu constater une différence entre des industriels assurant que leurs stocks étaient là et qu’ils arrivaient à produire et des pharmaciens qui n’arrivaient pas à avoir des boîtes ».
« Les problématiques liées au stock de médicaments sont apparues au début des années 2000, avec la délocalisation massive de leur production dans des pays lointains comme l'Inde et surtout la Chine, a rappelé le Dr Bernard Bégaud, professeur émérite de pharmacologie, lors d’un entretien sur « France Culture ». (...) Les pénuries de médicaments ont pu être contournées ces dernières années car elles n'ont pas été très longues. »
Une évaluation « strictement médicale »
Conçue en collaboration avec plusieurs sociétés savantes* et sur la base d’une méthodologie utilisée par la Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar), cette liste des « essentiels » prend en compte la « criticité pour les patients » et la « fréquence d’utilisation ». Du travail des sociétés savantes, « est ressorti une liste de 400 médicaments essentiels auxquels, nous avons ajouté 50 médicaments répondant à un objectif de santé publique, tels que les vaccins ou la pilule abortive », poursuit François Braun.
Cette évaluation « strictement médicale » a été combinée à une évaluation de la « fragilité industrielle », ce qui a abouti à une liste de 50 médicaments dont la production va être relocalisée en France. Les 25 premières molécules concernées ont été annoncées par le président de la République. Une collaboration a aussi été engagée avec 18 pays européens autour de la proposition belge d’un « Critical Medicine Act », similaire à l’approche française, avec une liste de molécules essentiels, des plans de relocalisation de la production, etc.
Devant les sénateurs, le ministre a affiché une volonté « d’information, de transparence, de clarté » dans le déploiement de la stratégie sur les pénuries du gouvernement. « La liste des experts sollicités et leurs éventuels liens ou conflits d’intérêt ne sont pas publiés », observe pourtant le Pr Dominique Deplanque, président de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), qui n’a pas participé aux travaux.
Sans remettre en cause l’intérêt de la démarche, le Pr Deplanque relève certaines « redondances » et des « absents ». La liste comprend par exemple cinq inhibiteurs de la pompe à protons (dont deux molécules très proches, l’oméprazole et l’ésoméprazole) et quatre inhibiteurs de l’enzyme de conversion, mais aucun corticoïde inhalé pourtant essentiel dans le traitement de l’asthme, souligne-t-il. De même, la liste des anti-tuberculeux se résume à la rifampicine. Or « ce n’est qu’une composante du traitement. Deux autres médicaments essentiels, l’isoniazide (INH) et le pyrazinamide, pourraient être ajoutés », plaide-t-il.
Le président de la SFPT reste également perplexe face à certaines « curiosités » : « certains médicaments ne mériteraient pas nécessairement de figurer dans cette liste et d’autres, avec une meilleure évaluation par la Haute Autorité de santé (HAS), n’y sont pas », regrette-t-il. La fluindione (Previscan) compte parmi les « atypies » : « cet anticoagulant ancien a la particularité de n’avoir quasiment été utilisé qu’en France et son introduction chez de nouveaux patients est interdite par l’ANSM depuis décembre 2018 », relève le Pr Deplanque, soulignant que dans cette classe, le médicament de référence est la warfarine.
Dans un communiqué, la Société française de rhumatologie (SFR) s’étonne également de certains absents. « La liste fournie ne comporte aucune thérapeutique ciblée des rhumatismes inflammatoires (en dehors du rituximab), aucun AINS, aucun traitement anti‐ostéoporotique et aucun corticoïde injectable », est-il pointé.
En écho à la volonté de transparence du ministre, la SFR demande des précisions sur la signification du qualificatif « essentiel ». Même interrogation chez le Pr Deplanque : « Le caractère essentiel est-il permanent ? Ou répond-il à des contextes particuliers ? Et, dans quelles circonstances cette "essentialité" est censée s’appliquer ? »
Une liste « évolutive »
Cette liste est « vivante », indiquait François Braun, lors de son audition, son cabinet précisant qu’elle serait « amenée à s’enrichir, être complétée, modifiée, en fonction des pratiques ou du contexte sanitaire ». « Chaque interpellation pourra être examinée », a poursuivi le ministre, promettant une « mise à jour tous les ans pour suivre les évolutions thérapeutiques et la sortie éventuelle de nouveaux médicaments ».
Son appel a été entendu, la SFR a déjà constitué un groupe de travail, avec le Conseil national professionnel de rhumatologie (CNP) et le Syndicat national des médecins rhumatologues (SNMR) pour « répondre à la demande de relecture et de complément de cette liste, selon la méthodologie indiquée ».
Le président de la SFPT suggère de prendre en compte, dans le cadre d’un réexamen, les évaluations d’amélioration du service médical rendu (ASMR) de la Haute Autorité de santé (HAS), qui n’a pas participé à l’élaboration de la liste. Et, au sein d’une même classe de médicaments, « il faudrait peut-être prioriser les différents candidats selon l’état de l’art et le rapport bénéfice/risque de chaque médicament selon l’indication », préconise-t-il.
Sur la base de cette liste, le ministère prévoit d’établir une feuille de route « dans les semaines à venir » visant « le renforcement des efforts de prévention » et à « éviter au maximum de futures pénuries ». Parmi les pistes lancées, le ministère évoque une « cartographie et renforcement des chaînes de production », la mise en œuvre de « solutions de production de secours », mais aussi des actions de prévention, dès le plus jeune âge (gestes barrières, vaccination, bon usage des antibiotiques).
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