Védécé l'a fait en images, Sabrina Ali Benali a choisi les mots. Interne dans un hôpital du XXe à Paris, la future médecin de 37 ans dépeint la brutalité d'un système qui éloigne chaque jour un peu plus les soignants du sens premier de leur fonction : s'occuper des malades. Si cette amoureuse de l’hôpital a choisi d'être urgentiste, ce n'était pas pour ausculter dans la salle d’attente. Où aujourd'hui des patients décèdent, faute d'être examinés à temps. Faute d'effectifs, faute de budget. L'interne avait sonné une première alerte fin 2017 dans une vidéo devenue virale, où elle interpellait Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, et épinglait la pénurie de lits dans son hôpital à cause de la grippe.
« Les injustices de l’hôpital reflètent celles du monde », affirme la jeune femme qui a enfilé un gilet jaune ces dernières semaines. « Si on ne s’occupe pas des pauvres, les pauvres s’occuperont de vous. » La militante de la France insoumise pose un diagnostic, celui d'une dérive marchande de la santé dont les symptômes s'aggravent d'année en année. « Les urgences, c’est le poste avancé de la déréliction de l’hôpital et le révélateur d’une société qui se porte mal », observe-t-elle. Refaire le système de soins, c'est aussi refaire le monde, estime la future médecin qui a pris part au volet santé du programme du candidat Jean-Luc Mélenchon en 2017.
« La blouse n’est pas une amure »
L'interne estime que les études en médecine, où la compétition apparaît comme mot d'ordre exclusif, sont inadaptées. Le « tout par cœur » de la première année permet-il de choisir les bons praticiens ? Elle soulève aussi l'absurdité des épreuves classantes nationales, « toute une vie à exercer une spécialité déterminée par des mots-clefs ».
« Tu oublieras la moitié de ce que tu sais, mais tu soigneras bien car tu te poses les bonnes questions, sais examiner ton malade, l’interroger et le mettre en confiance », lui a promis un professeur. La compétence du médecin dépasse la “pure” connaissance médicale, d'après l'auteure qui épingle l'absence de cours sur le « rapport au patient ».
Un chapitre relate sa solitude face à une jeune patiente transplantée, décédée prématurément. Chaque futur médecin hospitalier devrait selon elle « bénéficier avant ses stages d’une visite médicale traitant des questions somatiques et psychologiques afin de prévenir les traumatismes et l’accompagner si nécessaire dans ses études ». Car « la blouse n’est pas une armure », affirme-t-elle.
« Nous devons faire face seuls à des histoires délicates », constate-t-elle. L'astuce « un mort, une clope », en vogue chez les soignants à l'hôpital, ne suffit plus. Ces temps-ci, elle les fait surtout fumer davantage.
« La révolte d'une interne », aux éditions Cherche Midi, 192 p., 17 euros
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