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Secteur 3 : le prix de la liberté...

Par Stéphane Lancelot - Publié le 18/11/2016
Secteur 3 : le prix de la liberté...

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Adhérer ou se placer hors jeu ? Avec la publication de la nouvelle convention, certains se poseront peut-être la question, même s’ils seront, comme d'habitude, sans doute peu nombreux à franchir le Rubicon. Plus de temps, plus de confort, moins de pression ? Les généralistes de secteur 3 s’estiment aussi un peu victimes. Nous leur avons donné la parole.

«Vous ne trouverez aucun médecin qui ne fasse que de la médecine générale en secteur 3, c’est impossible ! Ou alors on vous raconte des cracks », nous avait prévenus une nutritionniste rhodanienne non conventionnée. Après s’être renseigné sur quelque 230 médecins recensés comme généralistes de secteur 3, pris au hasard dans l’annuaire santé Ameli, nous admettons que cette consœur ne s’était pas trompée...

Sur ces plus de 200 praticiens, une vingtaine seulement cumule médecine générale et médecine à exercice particulier (MEP). Un seul fait de la médecine générale à plein temps. Alors, une conclusion s’impose : si sur les 1 611 médecins non conventionnés recensés par la CARMF, les deux tiers sont médecins généralistes, dans les faits, l’immense majorité sont donc homéopathes, ostéopathes, acupuncteurs, nutritionnistes, sexologues, et autres expertises particulières, et pour beaucoup ne font plus de médecine générale.

Des consultations longues

Ceux qui exercent la médecine générale à 100 % se compteraient donc au maximum par dizaines. S’ils pratiquent des médecines différentes, les praticiens hors convention que nous avons sollicités se sont globalement déconventionnés pour les mêmes raisons. À commencer par le besoin de consultations plus longues pour soigner. Une prise de temps que l’exercice en secteur 1 ne permet pas, selon eux. « Je pratique une médecine longue et lente. J’examine les patients dans la totalité de leurs plaintes. Je n’aime pas faire rapide, dire à un patient de revenir dans trois jours si… », explique ainsi Georges Lorenzo, qui partage son temps entre la médecine générale et la médecine esthétique à Monaco.
« Le souci avec la médecine de secteur 1, c’est que la Sécu ne rembourse qu’une consultation. Si je passe 40 minutes avec un patient, je gagne deux fois moins que ma femme de ménage », déplore ce confrère passé en secteur 3
il y a un an.

Arnaud Sevène, médecin généraliste et sexologue à Paris, justifie lui aussi son choix de se déconventionner, fait il y a une quinzaine d’années, par ce besoin de davantage de temps. « Les contraintes d’une prise en charge sont telles qu’elles ne peuvent pas ne pas “coûter” du temps », dit-il. Et de développer : « Il faut faire l’effort d’examiner intégralement à chaque fois les patients. Même si la probabilité est très faible, on peut déceler un cancer. » Un temps qu’il faut « également prendre lorsque le patient n’a rien de grave ou pour expliquer, ça diminue les risques de non-observance ou d’observance partielle. Et il en faut encore plus quand on ne prescrit rien », complète-t-il. « Ensuite, un lien de confiance peut prendre du temps à s’établir. Et le suivi médical se bâtit sur cette confiance. C’est pour ça qu’en moyenne, une consultation me prend au moins trente minutes. » Fin de la démonstration.

Un rejet de la Sécu

Du temps donc, mais pas que. Car ces médecins qui font du hors piste souhaitent aussi s’affranchir du contrôle de l’assurance maladie, qu’ils jugent trop présente.
Voire traumatisante.

Éric Parein, médecin généraliste et du sport à Auray, garde un souvenir douloureux des méthodes « sournoises » de contrôle de la Cnam. Il y a un an, la CPAM du
Morbihan, intriguée par la trentaine de patients qu'il reçoit chaque jour à son cabinet – ouvert de 8 h à 21 heures –, convoque et interroge plusieurs d’entre eux sur son activité. Lesquels en informent le médecin. Quelques semaines plus tard, deux employés contrôlent son cabinet. L’informaticienne repère une erreur de cotation dans son logiciel, la lui montre, l’assurant qu’il n’est pas fautif. La suite avec un autre agent se passera moins bien ; jusqu’à la vérification des diplômes du praticien. Épilogue : la Sécu lui inflige une forte amende et place son activité sous contrôle. Il porte plainte et l’emporte finalement au tribunal administratif. Mais le divorce avec l’exercice conventionnel est inéluctable. « C’était vraiment l’élément déclencheur », résume le Breton, qui se dit conforté dans son passage en secteur 3 par les déplaquages de confrères de la région.

Si l’exemple est extrême, d’autres praticiens interrogés expriment eux aussi un rejet de l’assurance maladie. « Il y a trop de pression pour faire une médecine économique », juge d’ailleurs Éric Parein. Avec le gain de temps, « l’encadrement de la pratique conventionnelle » est une des raisons qui ont convaincu Julien Eschermann, généraliste en Seine-et-Marne, à fermer son cabinet où il était en secteur 1, pour en ouvrir un à Toulon en secteur 3. Il exerce désormais une médecine générale avec une orientation anthroposophique. Pour ce jeune médecin, la ROSP « relève du conflit d’intérêts et remet en question l’indépendance du médecin ».

Quant à Arnaud Sevène, il « ne supportait plus l’hypocrisie d’un système qui vous donne de nombreuses obligations. La Cnam nous dit : vous devez ceci, vous devez cela, mais ne nous en donne pas les moyens. Et, s’il y a un problème, elle sera la première à nous reprocher de ne pas soigner comme il faudrait », regrette le médecin parisien.

Les contraintes en moins

En plus de cette liberté prise à l’égard de l’assurance maladie, les praticiens de secteur 3 peuvent, évidemment, librement fixer leurs honoraires. Pourtant, ils se défendent d’avoir choisi l’exercice non conventionné par appât du gain. Au contraire, tous affirment ne pas gagner autant que lorsqu’ils exerçaient en secteur 1. Principalement en raison du rapport entre honoraires et temps passé en consultation. « Si ma femme ne gagnait pas quatre fois plus que moi et si je n’avais pas une autre activité, ce serait impossible pour moi de tenir en étant non conventionné », affirme Georges Lorenzo, qui avait préparé son passage hors convention avec un diplôme d’université en médecine morphologique. Les tarifs du Monégasque vont de 25 euros pour ses patients les plus fidèles ou « pas riches », à 80 voire 100 euros pour les plus fortunés. En revanche ce n’est jamais gratuit. « Je ne travaille plus pour rien. Si quelqu’un n’a pas argent, il va ailleurs. Je me fais payer en fonction du temps que je passe. Mais ce n’est pas pour m’en mettre plein les poches. »

Dans son cabinet parisien, Arnaud Sevène s’adapte lui aussi au portefeuille de ses patients. « Je suis un médecin raisonnable. Je prends entre 40 et 70 euros en général, mais, si j’ai un étudiant, une personne en difficulté sociale ou au chômage, je prends 20, 25 euros. Et, quand les gens vont mieux, retrouvent un job, ils sont ravis de me l’annoncer et de payer normalement », assure-t-il. Le néo-Toulonnais, Julien Eschermann, confie qu’avec sept à neuf consultations à 60 euros par jour, il « gagne deux fois moins bien sa vie qu’avant mais qu’il a maintenant un confort de travail ». Même son de cloche chez le Breton Éric Parein, qui demande 30 euros pour une consultation en médecine générale, et 50 pour la médecine du sport : « Je ne suis pas gagnant. Je ne roule pas sur l’or, mais c’est le prix de la tranquillité et de la qualité »,
explique le praticien

Vie de bohème... ou vie de chien ?

Le confort, la liberté, c’est ce qui semble motiver ces médecins en premier. Depuis son passage au secteur 3, Eric Parein estime : il prescrit échographies, bilans biologiques « sans crainte, dit-il, de se faire taper sur les doigts ».
Une tranquillité également recherchée par l’un des signataires d'une tribune pour la reconnaissance de la maladie de Lyme, publiée cet été dans L’Obs’. Échaudé par les déboires rencontrés par certains confrères, ce généraliste installé dans le quart nord de l’Hexagone depuis 35 ans confie s’être déconventionné en avril – à 18 mois de la retraite – pour « se cacher ». Désormais il ne traite plus d’ailleurs que les patients atteints de la maladie de Lyme.

Le passage à l’exercice non conventionnel ne semble pas combler les praticiens contactés. La faute aux patients, pour qui médecine rime avec remboursement, et à l’image de médecins parfois douteux, en tout cas s’en « mettant plein les poches » qui colle à la peau des praticiens de secteur 3. « Contrairement aux médecins conventionnés, nous ne sommes pas exonérés de certaines charges sociales. Du coup, nous avons les mêmes obligations que les conventionnés, mais pas les mêmes revalorisations. Sous prétexte que nous pouvons faire payer le prix qu’on veut au patient », fait remarquer Arnaud Sevène. Il n’hésite pas à évoquer « une maltraitance des praticiens de secteur 3 et, pis, un mépris de leurs patients ». Et Éric Parein d’abonder, « notre situation est insupportable et dégradante. »

Dossier réalisé par Stéphane Lancelot

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