Quatre médecins racontent la descente aux enfers sous l’effet de l’alcool. La leur, ou celle d’un collègue. Ils témoignent sous un prénom d’emprunt. Tranches de bloc.
Pierre considère le problème « réglé ». Un an qu’il n’a pas touché à l’alcool, depuis sa retraite anticipée. Le CHU l’a sorti du circuit quand son addiction a pris trop de place au bloc. « J’ai commencé à boire pour oublier l’ambiance épouvantable, la pression. 70 heures par semaine, au bout d’un moment, ça secoue la moelle. On m’a mis la tête sous l’eau. Je buvais à l’hôpital, personne dans l’équipe ne me parlait. J’étais très isolé. J’ai fini en burn out ». Une commission médicale a placé Pierre en congé longue durée. Puis en préretraite. L’anesthésie était faite pour lui, Pierre en reste convaincu. Ce qui lui a manqué, c’est un soutien bienveillant. « Je suis triste quand je pense aux confrères dépendants. Il faudrait leur parler, les écouter, les conseiller. Pas forcément pour les réorienter, car quand on fait ce boulot, on peut difficilement faire autre chose. Mais pour reconnaître leur souffrance, les aider ».
La chance d’avoir été épaulé par un confrère ex-alcoolique
La dégringolade de François a débuté après la restructuration des blocs, qui a entraîné de durs conflits. « Je buvais le soir à la maison pour me calmer. Des verres, puis la bouteille ». François raconte la honte ressentie, la solitude, l’impossibilité de confier son mal-être. Jusqu’à cette main tendue par un confrère, qui l’a orienté vers des spécialistes après l’avoir vu « imbibé » lors d’une visite à son domicile. « Ce médecin était lui-même passé par là. Ça a été ma chance ».
François entame une psychothérapie. Il rebondit : nouvel hôpital, nouvelle équipe, soudée. Les verres sont devenus occasionnels. « La pression à la productivité est toujours là, mais pas au point de me pousser à boire ». Avec le recul, François confie que la sécurité des soins aurait pu pâtir de ses excès. « L’alcool altère le sommeil. Quand j’arrivais mal le matin, je disais que j’avais fait la fête et je me mettais à l’écart. Je n’ai jamais demandé d’aide. Combien de confrères ai-je croisés qui ne se rendent pas compte qu’ils sont dans l’excès. Parler permet pourtant de sortir du gouffre ».
Le désarroi des chefs de service quand un collègue plonge dans la boisson
Marc, chef de service, a eu à gérer le cas délicat d’un anesthésiste alcoolique aux tendances suicidaires. « Il s’absentait du bloc pour aller boire. Je m’en suis rendu compte très tard. Ses collègues le savaient et ne m’ont rien dit ». Jusqu’au jour où l’anesthésiste est retrouvé comateux, dans son bureau, une perfusion dans le bras. La médecine du travail et deux psychiatres le remettent sur les rails. Le PH réintègre les consultations, puis le bloc, mais il rechute. « Cela a été une épreuve pour l’équipe, on craignait une catastrophe. J’avais une responsabilité morale », relate le chef de service. À la deuxième tentative de suicide, le praticien est poussé vers la sortie. Il accepte de quitter le CHU.
Aujourd’hui, cet anesthésiste enchaîne les remplacements à droite et à gauche. Il continue de boire, probablement. Marc trouve la situation désolante. « Des cas "borderline", il y en a plein. Ces praticiens sont un peu la patate chaude qu’on envoie au loin. J’ai écrit à l’Ordre des médecins, à l’ARS. Personne n’a répondu. Le problème est politique. Les hôpitaux sont prêts à prendre n’importe qui pour faire tourner les blocs. La solution n’est pas simple. Il faut commencer par mettre de l’ordre dans les boîtes d’intérim ».
Le choix des remplaçants, un casse-tête
Élise, chirurgienne à la retraite, a croisé plusieurs anesthésistes grands buveurs dans sa carrière. Tous s’en sont sortis, grâce aux relations soudées au bloc. « Le plus difficile, dit-elle, c’est le choix des remplaçants. Parfois, quand on appelle l’hôpital précédent, on devine qu’untel n’est pas recommandable. Mais jamais personne ne dit, par peur de se mouiller : "ne prenez pas celui-ci car il boit trop" ».
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