Étant donné le nombre croissant de thérapies ciblées à disposition dans le cancer du poumon, il faut pouvoir chercher toutes les anomalies moléculaires connues, ce qui demande un prélèvement biopsique de bonne qualité et de taille suffisante pour avoir suffisamment de matériel tumoral. En outre, le parcours entre l’anatomopathologie et les plateformes de biologie moléculaire doit être rapide pour réaliser ces recherches, sans perte de temps.
Arrivée des thérapies ciblées dans les mutations Kras-G12C
La grande avancée concerne l’arrivée des inhibiteurs des mutations Kras, habituellement de mauvais pronostic. « Pour l’instant, nous ne disposons d’inhibiteurs que pour un sous-type : la mutation Kras-G12C (sotorasib, adagrasib et MRTX849 en développement avancé). Au niveau du codon 12, une glycine est transformée en une cystéine − d’où le nom de G12C − ce qui entraîne une modification de la protéine Kras qui reste bloquée en position « on », entraînant une cascade de transduction du signal située en aval. Cette mutation Kras-G12C touche environ de 12 à 13 % des adénocarcinomes, et concerne surtout des fumeurs. Les inhibiteurs dont nous disposons agissent au niveau de la cystéine (ils sont donc spécifiques de la G12C) et offrent des très bons taux de contrôle de la maladie avec des durées intéressantes de réponse et des survies sans progression », précise la Pr Wislez. Des études de phase 3 sont en cours.
Leur mode d’action est donc différent des thérapies ciblées visant les mutations EGFR (epithelial growth factor receptor), où l’on a un effet « on-off » des inhibiteurs de la tyrosine kinase (TKI). Avec les inhibiteurs des mutations Kras, on inhibe une molécule qui fait la transduction du signal en aval de la tyrosine kinase : pour la première fois, on dispose de thérapies orales, spécifiques, qui ont l’air globalement bien tolérées (mieux que la chimiothérapie) et semblent très efficaces chez un certain nombre de patients.
Mutations EGFR : des résultats encourageants mais en l’attente de preuves sur la survie
Autre avancée : une étude démontre que, chez les patients avec une mutation EGFR (de 10 à 12 % des patients caucasiens contre 30 % des patients d’origine asiatique, surtout présente chez les non-fumeurs), une TKI d’EGFR de 3e génération (osimertinib) diminue, en post-opératoire pendant 3 ans, la récidive tumorale et allonge la survie sans récidive : « une demande d’AMM est en cours. Cependant, les données sur la survie globale sont immatures actuellement, regrette la Pr Wislez. Une étude Chinoise, réalisée avec le géfitinib (un autre TKI d’EGFR mais de 2e génération) en post-opératoire pendant deux ans, a, quant à elle, aussi démontré la réduction du risque de récidive, mais sans modification de la survie globale à 5 ans. L’osimertinib étant plus puissant, il pénètre mieux dans les tissus et notamment dans le cerveau : peut-être de quoi modifier la survie, mais c’est à confirmer ». En effet, le traitement post-opératoire ne doit pas simplement décaler la récidive, mais modifier la survie globale. Actuellement, la réponse à cette question avec les TKI d’EGFR en post-opératoire n’est pas clairement tranchée.
Des espoirs dans le cancer du poumon à petites cellules
Dans les cancers du poumon à petites cellules, le pronostic reste sombre : il n’y a aucune thérapie ciblée et l’immunothérapie entraîne un bénéfice modeste. Administrée dans les stades disséminés et en même temps que la chimiothérapie, elle entraîne un bénéfice de survie de deux mois sur la population globale : c’est la seule avancée depuis plusieurs décennies. « Chez ces patients gros fumeurs, il y a des pertes de gènes suppresseurs de tumeurs mais, surtout, il n’y a pas un oncogène à cibler, comme dans les cancers bronchiques non à petites cellules. Certaines nouvelles cibles commeDLL-3 (une protéine très surexprimée dans ce cancer) ont bien fait l’objet d’études de phases 1 et 2 encourageantes, mais négatives en phase 3 », souligne l’oncologue. Les recherches se poursuivent avec d’autres médicaments ciblant cette protéine.
Immunothérapie : des progrès à tous les stades
« Nous avons de plus en plus de molécules d’immunothérapie à disposition, dans tous les sous-types histologiques de cancer du poumon et à tous les stades. Nous avons des AMM dans les stades métastatiques dès la 1re ligne. Mais aussi pour les stades localement avancés, après chimio-radiothérapie. Des essais sont en cours pour savoir s’il faut faire cette immunothérapie de façon concomitante à la radio-chimiothérapie ou après, de façon séquentielle. En péri-opératoire, il y a eu des études d’adjuvants, de néo-adjuvants, avant ou après chirurgie et les résultats sont attendus pour savoir comment positionner l’immunothérapie en péri-opératoire », poursuit la Pr Wislez. Certaines questions restent ainsi en suspens et notamment, quelle doit être la durée de l’immunothérapie quand on a une réponse complète ? Quels sont les mécanismes de progression sous immunothérapie ? Est-ce qu’il y a des facteurs prédictifs de toxicité ? À suivre.
Augmenter la puissance du dépistage et de la prévention
La démonstration que le dépistage par scanners low-doses, avec utilisation de la volumétrie, permet de diminuer la mortalité par cancer du poumon, a été apportée. « Nous attendons donc l’accord des autorités pour que ce dépistage puisse se mettre en place », indique la Pr Wislez.
Par ailleurs, les programmes de RAC (réhabilitation accélérée après chirurgie), qui reposent sur le parcours du patient, depuis la consultation anesthésie, le bilan préopératoire, le sevrage du tabac, etc., jusqu’à la chirurgie thoracique et la sortie de l’hôpital, ont apporté des bénéfices avec une durée d’hospitalisation plus courte. Autres progrès : la chirurgie vidéo-assistée, robotisée, la radiothérapie en condition stéréotaxique (plus précise, ce qui permet d’envoyer de plus fortes doses et d’être plus efficace mais moins toxique pour le patient), offrent de nouvelles possibilités chez les patients inopérables.
Finalement, c’est la prévention qui reste le parent pauvre du cancer du poumon. « On ne met toujours pas assez de moyens sur la prévention du tabagisme et sur le sevrage tabagique ! » reconnaît la Pr Wislez.
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