La mise à disposition récente des immunothérapies (nivolumab, ipilimumab, pembrolizumab, atezolizumab, durvalumab, avelumab) dans la prise en charge de nombreuses tumeurs (cancer du poumon, du rein, mélanome, lymphome…) constitue une innovation majeure dans le traitement des patients atteints de cancer, permettant une amélioration du pronostic.
Les points de contrôles de l’immunité présents à la surface des lymphocytes T sont impliqués dans la modulation de l’intensité et de la durée de la réponse immune. Les cellules tumorales ont la capacité de détourner le système immunitaire en exprimant à leur surface des ligands entraînant un état d’immunosuppression et de tolérance à leur égard, permettant ainsi le développement et la croissance de la tumeur. Les immunothérapies sont des anticorps dirigés contre les points de contrôle de l’immunité, restaurant ainsi les défenses intrinsèques immunes de l’individu à lutter contre les tumeurs. Le principal mécanisme d’action des immunothérapies passe par le blocage de molécules régulatrices de l’immunité T ciblant de manière élective les points de contrôle du système immunitaire CTLA-4 (Cytotoxic-T-Lymphocyte-associated Antigen 4), PD-1 (Programmed cell death 1) et son ligand (PD-L1).
Des effets indésirables dysimmunitaires fréquents
L’administration des immunothérapies est associée à des effets indésirables affectant potentiellement tous les organes, et correspondant à des réactions auto-immunes liées à une hyperactivation non contrôlée du système immunitaire contre le soi. Parmi les principaux organes ou tissus atteints, on distingue la peau, le poumon, le tube digestif, le foie, la thyroïde, l’hypophyse, le pancréas et les muscles. En outre, certaines de ces toxicités peuvent mettre en jeu le pronostic vital comme les colites, les pneumonies interstitielles, les manifestations neurologiques (syndrome de Guillain-Barré et encéphalites), les myosites se présentant comme des myasthénies et les myocardites. La fréquence de ces effets indésirables auto-immuns ou dysimmunitaires est estimée à près de 90 % des patients traités par anti-CTLA4 et 70 % des patients traités par les anti-PD-1 lorsque l’on intègre l’ensemble des organes touchés et indépendamment du grade de sévérité. Néanmoins, les effets indésirables induits par ces immunothérapies qui vont conduire au décès des patients sont rares (0,3 à 1,3 % des patients traités) et les atteintes cardiovasculaires sont les plus sévères.
Des myocardites rares mais sévères
Des cas de myocardites aiguës, de baisse de la fonction systolique ventriculaire gauche avec et sans insuffisance cardiaque clinique, de fibrillation atriale, de troubles du rythme ou de la conduction ont été observés sous ces traitements. L’incidence des myocardites est diversement appréciée et varie en fonction de la population considérée et des modalités de dépistage proposées. Elles sont rares, leur incidence est estimée entre 0,25 et 1 %, mais particulièrement sévères puisqu’elles sont grevées d’une mortalité de près de 50 %. Il est à noter que ces myocardites sont souvent associées à des atteintes auto-immunes d’autres organes de manière concomitante dans près d’un tiers des cas, principalement des myosites (myalgies) et des atteintes ressemblant à des myasthénies (ptosis, diplopie, dépression respiratoire).
« Il faut savoir évoquer rapidement le diagnostic devant tout symptôme d’appel de la sphère cardiovasculaire, qu’il s’agisse de palpitations, d’une dyspnée ou d’une douleur thoracique, rapporte le Dr Stéphane Ederhy. Ces signes surviennent de façon précoce, dans les 30 premiers jours après l’administration de l’immunothérapie. Toute suspicion clinique de myocardite doit conduire à réaliser sans délai un ECG et un dosage de la troponine pour avancer dans le diagnostic. Le patient doit être hospitalisé pour recevoir un traitement par bolus de corticoïdes à fortes doses, éventuellement associés à des immunoglobulines ou à des immuno-modulateurs ou immunosuppresseurs. La biopsie myocardique ou musculaire squelettique est souvent nécessaire pour établir le diagnostic, compte tenu de la négativité relativement fréquente de l’IRM dans ces formes de myocardites. Dans les formes fulminantes, un support inotrope, voire une ECMO (oxygénation par membrane extracorporelle), peuvent être nécessaires ».
Vers une prise en charge cardio-oncologique
Les facteurs de risque de développer ce type de complication ne sont pas encore clairement établis mais le recours à une combinaison de plusieurs immunothérapies (combinant anti-CTLA4 et anti-PD1) semble émerger. Il n’y a pas de bilan préthérapeutique spécifique absolument requis, néanmoins l’acquisition d’un électrocardiogramme et d’une troponine avant la mise sous immunothérapie permettrait éventuellement d’avoir une base de comparaison en cas de développement de symptômes par la suite. Les patients avec antécédents de maladie auto-immune ou de thymome étaient exclus des essais cliniques évaluant l’efficacité de l’immunothérapie, mais pourraient constituer une population à plus haut risque. Cependant, ces éléments requièrent de plus amples investigations. « Une surveillance rapprochée s’impose », précise le Dr Ederhy, qui souligne l’importance d’une prise en charge structurée cardio-oncologique de ces patients. Les services de cardiologie de l’hôpital Saint-Antoine (Dr Stéphane Ederhy, Pr Ariel Cohen) et de pharmacologie de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière (Dr Joe-Elie Salem, Pr Christian Funck-Brentano) ont mis en place une unité de cardio-oncologie dont l’un des objectifs est la prise en charge des complications aiguës de ces immunothérapies, en collaboration étroite avec les services d’oncologie et prenant en charge les patients cancéreux dans le bassin de vie drainé par les hôpitaux rattachés à Sorbonne-Universités (Université Pierre-et-Marie Curie).
D’après un entretien avec le Dr Stéphane Ederhy, service de cardiologie, unité de cardio- oncologie UNICO APHP.6, hôpital Saint-Antoine (Paris)
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