PAR LE Dr JEAN-PIERRE MONASSIER*
L’ANGIOPLASTIE PRIMAIRE ne peut exprimer toutes ses potentialités qu’à quatre conditions :
– optimiser la gestion de la phase préhospitalière ;
– organiser la logistique interventionnelle ;
– modifier la technique d’angioplastie ;
– collaborer avec les chirurgiens et les réanimateurs.
La phase préhospitalière n’est plus le simple transport urgent, par une équipe médicalisée rompue aux méthodes de réanimation, du patient vers le laboratoire de cathétérisme, elle est le premier temps du traitement. Son objectif est d’obtenir, avant même que le geste interventionnel n’ait débuté, une diminution importante de l’agrégation plaquettaire et de la formation de thrombine en agissant sur les deux composantes de la genèse du thrombus. On peut ainsi obtenir l’accélération de la fibrinolyse physiologique, l’arrêt du développement du thrombus et la prévention des phénomènes de rethrombose peropératoire. Le cardiologue interventionnel voit donc son action facilitée par cette préparation pharmacologique. Plusieurs protocoles ont été proposés, en général fruit de la collaboration locale entre urgentistes et cardiologues. Ils associent tous une triple action antiplaquettaire (orale et intraveineuse) (clopidogrel ou prasugrel en dose de charge, anti-GP2b/3a, aspirine) et une molécule antithrombine (héparine non fractionnée, mais désormais plus fréquemment, énoxaparine, fondaparinux ou bivalirudine). Le traitement de la douleur est encore être perfectible, les opiacés ayant une vertu protectrice du myocarde. En outre, un état hyperalgique aggrave l’ischémie (tachycardie, paroxysme tensionnel). Ce point n’attire pas encore suffisamment l’attention. Il est pourtant aussi déterminant que l’action antithrombotique.
Une chaîne de survie.
La logistique interventionnelle est une chaîne de survie dont chaque maillon doit fonctionner sans retard. Elle commence par une information immédiate de l’équipe d’astreinte par le médecin régulateur du SAMU. Cela est de plus en plus souvent le cas, à condition de fournir au centre 15 la liste d’astreinte médicale et le numéro de téléphone portable du médecin joignable sans délai. Ce dernier fait suivre le message déclenchant le « plan ORSEC » qui permet à une équipe comportant infirmier(ère) de « cath-lab », manipulateur(rice) radiologique et médecin anesthésiste d’être en place en moins de 40 minutes, 24 heures sur 24. Ces règles étant respectées l’artère peut être perméable entre 60 et 75 minutes après le premier appel. Leur non-respect enlève à l’angioplastie primaire sa légitimité .
La technique d’angioplastie doit tenir compte du risque hémorragique issu de l’abord artériel. La voie radiale, de plus en plus utilisée, est une solution de choix. En cas d’abord fémoral, un système percutané de fermeture de l’artère ponctionnée est souhaitable. Toute complication hémorragique majeure exige l’arrêt des antithrombotiques et expose, dès lors, à celui de thrombose de stent, catastrophique dans ce contexte. La levée de l’obstacle coronaire ne peut plus aujourd’hui se contenter d’un acte « off-on » : guide-ballon-stent (associé ou non à une aspiration du thrombus), artère ouverte, procédure terminée. Elle doit utiliser une procédure de protection myocardique (cf. ci-dessous). Il s’agit, certes, de travailler vite, mais sans précipitation. L’angioplastie de l’infarctus myocardique aigu doit être pratiquée par un cardiologue interventionnel senior ou par un junior en cours de formation assisté par un senior. En effet, de nombreux pièges techniques se présentent sur la route de l’opérateur. Il n’est pas possible de les détailler ici mais on peut citer la thrombose d’une zone de bifurcation coronaire non visible au cours de l’angiographie initiale et exposant, par exemple, à ouvrir une artère interventriculaire antérieure en « oubliant » une volumineuse première diagonale qui fait perdre une grande partie du bénéfice de la désobstruction. L’opérateur doit laisser à l’anesthésiste le temps de prendre en charge la douleur du patient, car dilater en phase hyperalgique expose à des imprécisions techniques. En outre, la désobstruction elle-même, comme tout praticien le sait, ne fait pas disparaître immédiatement la douleur, voire l’accroît momentanément. Les opiacés et les anesthésiques volatiles (isoflurane, etc.) font partie de la stratégie d’épargne cellulaire. Les premières années du XXIe siècle ont apporté la certitude de l’existence de lésions de reperfusion, ce que les plus anciens connaissaient depuis les années 1980 (1).
Les avantages du postconditionnement.
L’élément nouveau est la possibilité de les prévenir grâce au postconditionnement. Cette technique consiste à lever l’obstacle de façon progressive en exécutant quatre cycles de reperfusion-réocclusion, chacun d’une durée d’une minute ou de 30 secondes, soit au total 4 ou 8 minutes dont la moitié permettant de rétablir le flux transitoirement. Les premiers travaux montrent une diminution de la libération des marqueurs de cytolyse (2). Le postconditionnement mécanique peut être mimé par l’injection intraveineuse, avant la désobstruction, de 2,5 mg/kg de ciclosporine (2, 3, 4) (Figure 1) qui permet d’obtenir un bénéfice identique en termes de libération de CPK au cours des 72 premières heures.
Postconditionnement mécanique ou pharmacologique semblent donner des résultats voisins. Une étude multicentrique à large échelle (CIRCUS) évaluant la ciclosporine, dirigée par l’équipe lyonnaise de Michel Ovize (à l’origine des essais pilotes de « preuve de concept »), est sur le point de commencer. De ses résultats (2012 ?) dépend le franchissement d’un obstacle majeur : la prévention des lésions de reperfusion, dont l’enjeu pour certains atteindrait 40 % du myocarde à risque. Cet essai pourrait modifier la gestion de la reperfusion à la phase aigue de l’infarctus du myocarde. Toutes les travaux pilotes menés à ce jour sont favorables à la méthode et ce, d’autant plus que l’infarctus est plus étendu. Le postconditionnement mécanique, par quatre cycles successifs de 30 secondes ou d’une minute d’occlusion-reperfusion, précédant la reperfusion complète peut dès à présent être utilisé en routine.
En cas de thrombus très étendu ou de thrombose de stent, l’utilisation de cathéters d’aspiration du thrombus est efficace, mais elle ne paraît pas devoir être utilisée systématiquement en première intention.
Une collaboration étroite entre cardiologues interventionnels, chirurgiens cardio-vasculaires et réanimateurs est indispensable pour les patients d’emblée en situation hémodynamique précaire et notamment en choc cardiogénique. Elle doit permettre d’utiliser une technique de suppléance circulatoire, mise en place avant la coronarographie et l’angioplastie afin d’éviter les dissociations électromécaniques de reperfusion. Elles peuvent, au cours des jours suivants, donner le temps au myocarde de récupérer une partie de ses capacités contractiles ou d’amener certains patients, heureusement peu nombreux, à la transplantation cardiaque en super-urgence, voire à une chirurgie de réparation d’une complication mécanique (rupture septale, insuffisance mitrale aiguë ou fissuration myocardique).
Le traitement de l’infarctus myocardique aigu a considérablement progressé au cours des dernières années, notamment grâce à l’évolution de l’angioplastie primaire, à une meilleure coordination des soins entre urgentistes et cardiologues, à l’optimisation des thérapeutiques antithrombotiques et, plus exceptionnellement, à une collaboration médicochirurgicale où les réanimateurs tiennent une place importante.
Des données scientifiques concernant la prévention des lésions de reperfusion sont disponibles (5). Les essais cliniques sont en cours, mais notre expérience nous permet de conseiller de ne pas en attendre les résultats et de faire le pari de l’efficacité de cette stratégie. Le postconditionnement mécanique, qui à la fois protège les cardiomyocytes et améliore la perfusion périphérique, est aisé mettre en œuvre (6).
*Fondation du Diaconat, Mulhouse.
(1) Monassier JP, et al. Myocardial reperfusion syndrome. Arch Mal Cœur Vaiss 1992; 85 (S5):743-50.
(2) Staat P, et al . Postconditioning the human heart. Circulation 2005; 112: 2143-8.
(3) Piot C, et al. Effect of cyclosporine on reperfusion injury in acute myocardial infarction. N Engl J Med 2008;359:473-81.
(4) Ovize M, et al . Postconditioning and protection from reperfusion injury : where do we stand ? Cardiovasc Res 2010;87:406-23.
(5) Zhao ZQ, et al. Inhibition of myocardial injury by ischemic postconditioning during reperfusion: comparison with preconditioning. Am J Physiol Heart Circ Physiol 2003;285:H579-H588
(6) Monassier JP, et al. Postconditioning in acute myocardial infarction: Primary Angioplasty revisited ? Ann Cardiol Angeiol 2010;59:294-305.
Figure 1 : L’injection intraveineuse de 2,5 mg/kg de ciclosporine avant la désobstruction permet d’obtenir un bénéfice identique à celui du postconditionnement mécanique en termes de libération de CPK au cours des 72 premières heures (4).
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