« Il n’existe aucune étude randomisée mettant en évidence de bénéfice pronostique dans l'ICA. La plupart d'entre elles portent sur des thérapeutiques d'action courte (vasodilatateur, inotrope), administrées en intraveineuse à la phase initiale. Immédiatement après ICA, aucun essai ne s'est jamais intéressé à l'effet potentiel, sur le pronostic, d'une titration rapide des thérapeutiques recommandées dans l'IC, notamment lors de la phase « vulnérable » (associée à de nombreux décès et réhospitalisations), reconnaît le Pr Alexandre Mebazza (Université Paris Cité, INSERM, APHP, Paris). D'ailleurs, les recommandations européennes et américaines restent assez floues, en termes de rythme et de type de suivi post ICA (même s’il est préconisé). Enfin, les médecins craignant l'effet des pleines doses de traitements (bêtabloquants, inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone [SRAA], antagonistes de l’aldostérone), de nombreux patients sont largement sous-traités. « Pourtant, l'association bêtabloquants/inhibiteurs du SRAA à pleines doses est associée à un bénéfice rapide sur la survie, en post ICA dans une large gamme de fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) » (2), souligne le Pr Mebazza. Ainsi, le pronostic après ICA stagne. « Nous avons récemment publié un article portant sur plus de 15 millions d'ICA. Il montre que le taux de réhospitalisations n'a guère évolué depuis les années 1980 : il reste autour de 50 %, avec 10 à 20 % de décès à un an », ajoute le Pr Mebazaa (3).
Une étude arrêtée précocement en raison de l’efficacité
Pour la première fois, un travail a évalué, immédiatement en sortie d'hospitalisation pour ICA, une prise en charge structurée visant la titration précoce des traitements recommandés, par rapport à une approche usuelle. Cette étude, menée dans 87 hôpitaux (14 pays) devait recruter 1 800 patients. Interrompue précocement lors de l'analyse intermédiaire, elle porte sur 1 600 patients sélectionnés, et près de 1 100 patients randomisés à leur sortie de l'hôpital. En effet, les sujets retenus devaient remplir certaines conditions : un âge compris entre 18 et 85 ans, une admission dans les 72 heures avant le screening et un état stable. En outre, ils devaient présenter un NT-proBNP supérieur à 2 500 pg/ml lors de la sélection (ayant décru d'au moins 10 % entre le screening et la randomisation, mais resté supérieur à 1 500 pg/ml) et ne pas être déjà sous la posologie optimale des traitements oraux. Ils ont été inclus quelle que soit leur FEVG. Au total, l'étude porte sur 1 078 patients de 63 ans d'âge moyen, dont 61 % d'hommes. À leur sortie, 80 % sont en IC de classe NYHA II-III (II : 60 % ; III : 20 %), environ 17 % de classe I et 3 % de classe IV.
Une triple thérapie intensive et une surveillance rapprochée
Ils ont été randomisés en deux groupes : contrôle (suivi usuel par leur médecin généraliste ou cardiologue de ville) ou intensif (suivi par des cardiologues hospitaliers selon un protocole précis et une titration bien définie). Le protocole du bras intensif est fondé sur un algorithme de traitement visant les pleines doses en bêtabloquant, inhibiteur de l’enzyme de conversion [IEC] (ou antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II [ARAII] ou inhibiteur du récepteur de l’angiotensine-néprilysine [ARNi]) et anti-aldostérone, à deux semaines après la sortie. Il est couplé à une surveillance clinique et biologique rapprochée, fondée sur quatre consultations après la sortie. Celles-ci incluent systématiquement le dosage du NT-proBNP, la natrémie, la kaliémie (K), la glycémie, l’hémoglobinémie et l’évaluation de la fonction rénale. La règle était de ne pas augmenter les posologies en anti-aldostérone (si pression artérielle systolique [PAS] < 95 mm Hg, K < 5 mmol/l ou filtration glomérulaire [FG] < 30 ml/min), ni en bêtabloquant (si fréquence cardiaque [Fc] < 55 bpm ou PAS < 95 mm Hg). Lors d'élévation du NT-proBNP, un diurétique devait être envisagé. Enfin, si la pleine dose de l'un des traitements n'avait pu être atteinte, une visite supplémentaire était programmée.
Le critère principal d'efficacité associe décès et réadmissions pour IC à six mois. Quant au critère de sécurité, il porte sur les effets secondaires à trois mois. Il a aussi été évalué à trois mois : la qualité de vie, le NT-pro-BNP, le poids et les signes cliniques de congestion.
Une réduction d’un tiers du risque de décès et réhospitalisations
« Dès la fin du premier mois, les courbes d'évènements commencent à diverger. À trois mois, le taux d’évènements s’élève à 14,6 % avec la prise en charge intensive versus 21,7 % pour l’approche usuelle. À six mois, les taux de décès/réhospitalisations atteignent 15,2 % versus 23,3 %, après ajustement », observe le Pr Mebazaa. La prise en charge intensive fait donc reculer de 8 % en valeur absolue les décès/réhospitalisations à six mois, soit une réduction de 34 % du risque relatif de survenue de ces évènements (RRa = 0,66 ; 0,50-0,86 ; p = 0,0021). « Ce bénéfice est constant dans tous les sous-groupes, résume le Pr Mebazaa. Il est encore plus net, une fois exclus les décès liés au Covid-19, avec une réduction de 9 % des évènements à trois mois ».
En termes de tolérance, le bras intensif est certes associé à plus d'effets secondaires (41 % versus 29 %), mais ceux-ci sont aussi mieux recensés en raison du suivi rapproché. « Néanmoins, les effets secondaires majeurs (16 % versus 17 % à trois mois) ne sont pas augmentés. Ceci dément l'idée qu'un titrage rapide est dangereux, sous réserve toutefois de suivre ce protocole de suivi et titration », précise le Pr Mebazaa.
À trois mois dans le bras intensif, les patients ont davantage perdu de poids et présentent moins de signes de congestion, bien que les doses en diurétiques utilisées soient inférieures (51 mg versus 57 mg équivalent furosémide). Leur NT-proBNP a également davantage chuté. Enfin, « leur qualité de vie s'est significativement améliorée (+ 3,5 points de progression moyenne) », note le Pr Mebazaa.
Mobiliser les filières de soins
« À l'avenir, il reste à appliquer ces protocoles en pratique clinique. Cela suppose d'arriver à mobiliser des ressources, en termes de consultation cardiologique hospitalière, et de mettre en place des filières de soins post-ICA. Par exemple, il pourrait s’agir de premières consultations hospitalières, relayées ensuite par le médecin traitant. Ceci peut aussi pousser en France à accélérer la mise en place de binômes entre médecins et infirmières de pratiques avancées (IPA). Ce protocole de prise en charge, rapide et sûr, permettrait aussi d’être gagnant, en termes d'économie de santé (au regard du coût des réhospitalisations), sans même évoquer les décès », conclut le Pr Mebazaa.
(1) Mebazaa A et al. Safety, tolerability and efficacy of up-titration of guideline-directed medical therapies for acute heart failure (STRONG-HF): a multinational, open-label, randomised, trial. Lancet 2022 ; doi.org/10.1016/S0140-6736(22)02076-1.
(2) Arrigo M et al. Precipitating factors and 90-day outcome of acute heart failure: a report from the intercontinental GREAT registry. Eur J Heart Fail 2017;19:201-8.
(3) Kimmoun A et al. Temporal trends in mortality and readmission after acute heart failure: a systematic review and meta-regression in the past four decades. Europ J Heart Failure 2021;23:420–31.
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