Trafic d’organes et tourisme de transplantation

Quelques (trop rares) médecins s’insurgent

Publié le 02/12/2013
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Crédit photo : BSIP

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Crédit photo : AFP

LA RÉPUBLIQUE populaire de Chine est le deuxième pays a effectué le plus grand nombre de transplantations d’organes. Selon le journal « The China Daily », 20 000 transplantations ont eu lieu en 2005, dans des délais records (une à deux semaines d’attente). Entre 1999 et 2006, le nombre de centres est passé de 150 à 600. Pourtant les Chinois, inspirés par la philosophie de Confucius, sont réticents à l’égard du don d’organes. « En 1984, le gouvernement Chinois a autorisé la police à utiliser les cadavres des prisonniers condamnés à mort en vue des transplantations, avec ou sans le consentement de la famille », explique le Dr Harold King, chirurgien dentiste et responsable France de l’ONG DAFOH, à l’occasion d’un débat à l’Assemblée nationale. Depuis, les preuves se sont accumulées. Dans leur rapport d’enquête, « prélèvements meurtriers », l’avocat David Matas et David Kilgour, ancien secrétaire d’État canadien pour l’Asie-Pacifique, démontrent que les adeptes du mouvement sprirituel Falun Dafa, persécutés depuis 1999, sont torturés, condamnés, et exécutés, devenant ainsi l’une des principales sources de greffons.

Pressée par les autorités internationales, la Chine a tenté de montrer patte blanche en adoptant une résolution visant à limiter les prélèvements aux personnes volontaires. Mais seulement 169 hôpitaux sur les 600 actifs l’ont signée. Et encore : dans l’un d’eux, le magazine allemand « Der Spiegel », se faisant passer pour un patient, s’est vu promettre un greffon contre 350 000 dollars. « Le gouvernement ne change rien sur la traçabilité. L’an passé, 1 167 personnes étaient sur la liste des donneurs volontaires. Ils sont tous morts. Les chiffres ne sont pas clairs », poursuit le Dr King.

Coupable inconscience.

« Il n’y a pas eu de réaction de la part de transplanteurs en 2006 lorsqu’on a assisté à une explosion des transplantations en Chine », dénonce le Dr Jacques Belghiti, chef de service de chirurgie hépatobilio-pancréatique du CHU Beaujon. Il tente alors de mobiliser la communauté scientifique face à l’« inacceptable ». Mais se heurte aux USA à plusieurs obstacles, comme l’idée selon laquelle le prisonnier trouverait sa rédemption dans la transplantation, ou encore le libéralisme économique, qui ne voit pas de scandale à commercialiser des organes.

En mai 2008, le sommet d’Istanbul marque une avancée importante : « On définit le trafic d’organe et implique les médecins en affirmant qu’ils ne doivent pas participer à ce commerce ». Néanmoins le phénomène continue et touche les malades issus de pays dépourvus en infrastructures médicales (Afrique, Moyen Orient), ou ceux dont les pathologies outrepassent les critères de transplantation.

« Les pays qui se livrent au tourisme de transplantation tournent : la Chine, l’Inde (pour les donneurs vivants), l’Égypte, la Turquie, l’Ukraine », alerte le Dr Belghiti.

Les conséquences sont dramatiques pour tous les acteurs : les malades qui reviennent sans comptes rendus, avec des greffons qui ont souffert ou sont infectés (VIH, Hépatite) et des traitements antirejet non remboursés à 5 000 euros par mois, les médecins qui se prêtent à ces activités, et aussi pour l’éthique médicale. « C’est comme les expérimentations auxquelles se prêtaient les médecins nazis : ne serait-ce que sur un plan scientifique, c’est nul ! il n’y a aucun bénéfice pour la communauté », tonne le Dr Belghiti.

Exception française.

Quel peut être le rôle des médecins Français, alors que l’Agence de biomédecine (ABM) contrôle sur le territoire chaque transplantation avec une rigueur irréprochable (ont été signalés en 2013 trois cas de greffes pratiquées à l’étranger à partir de donneurs vivants non apparentés rémunérés pour les reins) ?

Le Dr Francis Navarro, transplanteur au CHU de Montpellier, les appelle à ne pas se rendre complice d’un tel trafic. Lui-même a failli en être dupe en 2007 lorsqu’il se préparait à former en Chine une équipe de chirurgiens. « Quelques jours avant mon départ, j’ai demandé les dossiers des donneurs et receveurs. En vain. J’ai alors compris qu’à mon arrivée, allaient avoir lieu des exécutions en masse », raconte-t-il.

« La complicité de la communauté médicale internationale est un grave problème », insiste le Pr Didier Sicard, président d’honneur du CCNE. Lui-même fut surpris lorsque, à un congrès sur une greffe de main à Lyon, le milieu scientifique estimait qu’il n’avait pas à se pencher sur la provenance du greffon. « Nous sommes très peu nombreux à dire non », remarque le Dr Belghiti, qui plaide pour que les papiers des scientifiques ne puissent être acceptés dans les congrès que s’ils font preuve d’une connaissance exacte de la provenance des greffons. En France, aucune société savante ni fédération n’a organisé de session plénière sur ce sujet. « Toute la question désormais est de savoir comment la France, porteuse de lois de bioéthiques fortes, peut aider les Chinois sans se draper dans une posture morale donneuse de leçon », résume le Pr Sicard. Refusant tout fatalisme qui ferait de ce commerce une conséquence de la pénurie, il propose d’affirmer l’exception française et de hisser l’ABM au rang de modèle international.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9285