Longtemps méconnues, les spécificités des peaux dites noires « commencent à être diffusées », observe le Pr Antoine Mahé, chef du service de dermatologie aux Hôpitaux civils de Colmar et auteur de Dermatologie des peaux noires et de Dermatologie de la diversité, deux ouvrages francophones de référence sur le sujet. Une table ronde organisée lors des 21es Journées nationales de photodermatologie, photobiologie & groupe thématique Peau noire, en mai à Paris, a été l’occasion d’échanges sur la prise en charge des phototypes foncés. Certes, la prise en charge dermatologique repose sur un socle commun, mais les particularités diagnostiques et thérapeutiques des phototypes foncés ne sont pas encore assez familières.
Pour le diagnostic, le praticien est en premier lieu confronté à la « difficulté d’apprécier un érythème », explique le Pr Mahé, ce qui peut être gênant dans le diagnostic de certaines affections comme la rougeole ou d’autres exanthèmes. Dans l’érysipèle sur peau noire, « sans rougeur visible, ce sont le gonflement, la fièvre et le syndrome inflammatoire qui vont permettre d’établir le diagnostic », poursuit-il.
Les troubles pigmentaires sont fréquents. Les problèmes d’hyperpigmentation, (principalement post- et per-inflammatoire) représenteraient 20 % des consultations des patients à peau foncée en dermatologie. Dans l’acné par exemple, des taches noires vont apparaître plutôt que les rougeurs observées sur les peaux claires. « Cette composante pigmentaire ne figure pas dans les recommandations de prise en charge de l’acné », relève le dermatologue. Les patients à peau foncée consultent la plupart du temps pour soigner le trouble pigmentaire, mais c’est bien la cause sous-jacente de l'inflammation qu’il faut traiter. « Les taches sont considérées comme des séquelles alors qu’elles traduisent l’inflammation », poursuit le Pr Mahé.
Les produits de dépigmentation peuvent entraîner des complications systémiques telles qu’hypertension, diabète et syndrome de Cushing
Dépigmentation parfois volontaire
La peau peut aussi s’éclaircir. « C’est rare mais ça se retrouve par exemple sur les dartres des enfants, qui sur peau foncée peuvent être impressionnants », commente le dermatologue. Quant à la dépigmentation volontaire, une pratique observée en Afrique subsaharienne, en Asie ou au Moyen-Orient, elle implique l'utilisation de produits comme l'hydroquinone à haute concentration et des corticoïdes locaux, pouvant entraîner des complications dermatologiques et systémiques graves, telles que l'hypertension, le diabète et le syndrome de Cushing. Ces effets indésirables systémiques « sont mal connus des dermatologues, mais aussi des généralistes ou des diabétologues », regrette le Pr Mahé.
La prise en charge est compliquée par la dissimulation de la pratique. « C’est un peu honteux, observe le spécialiste. Des recettes se transmettent de bouche à oreille ou via des réseaux de distribution spécialisés. » De nouveaux produits sont régulièrement commercialisés. La mise sur le marché de substances injectables contenant du glutathion a été interdite en 2016 par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) en raison d’effets indésirables. Le sujet est à aborder avec sensibilité, en informant les patients des risques sans stigmatiser. « Se positionner sur le registre de la morale est contreproductif. Comme on le ferait face à un patient qui se rend dans des cabines de bronzage, la question est à aborder de manière dépassionnée, en interrogeant les patients sur leurs pratiques cosmétiques », recommande le Pr Mahé.
Des formations se mettent en place
Plus globalement, le spécialiste sensibilise ses confrères aux spécificités des peaux foncées pour améliorer la prise en charge. « Les choses évoluent depuis quelques années », relève-t-il. Le référentiel de formation comprend désormais un chapitre dédié et des congrès comme les Journées dermatologiques de Paris organisent des sessions spécifiques. Les particularités des peaux foncées sont également détaillées dans le diplôme universitaire (DU), accessible en distanciel, qu’il a créé au sein de l’université de Strasbourg.
Axé sur la médecine de la diversité, ce DU va au-delà de la dermatologie. « Les complications liées aux pratiques de dépigmentation y sont abordées, mais pas seulement. On y apprend que les oxymètres de pouls ne sont pas toujours adaptés aux peaux foncées », décrit le dermatologue. Les infrarouges envoyés à travers la peau sont perturbés par le pigment. Si la peau est foncée, la mesure risque d’être fausse avec des hypoxémies occultes.
La recherche reste insuffisante. Aux États-Unis, les études sont souvent basées sur des catégories raciales autodéclarées, ce qui limite leur pertinence scientifique. « En conséquence, les recommandations sur la photoprotection sont les mêmes pour tous les types de peau », souligne le Pr Mahé. Il est essentiel, insiste-t-il, de mieux comprendre les affections dermatologiques des peaux foncées pour mieux les traiter.
Quelle photoprotection pour les peaux foncées ?
Si la photoprotection des peaux claires consiste à prévenir l’apparition des cancers cutanés, ce n’est pas l’objet chez les peaux foncées. Le cancer de la peau est rarissime sur les zones pigmentées ; il peut survenir sur les peaux foncées sur les zones où la peau est plus claire, comme la paume des mains, la plante des pieds et sous les ongles, mais ce sont des zones peu exposées au soleil. La photoprotection des peaux foncées vise à lutter contre la pigmentation : en effet, toute exposition, même minime, au soleil, peut entraîner des hyperpigmentations post-inflammatoires, les plus fréquentes étant les pigmentations per et post-acné, ou de cicatrices.
« Toute inflammation ou irritation de la peau va entraîner une rougeur temporaire sur un phototype clair et une hyperpigmentation qui peut durer jusqu’à deux ans sur les phototypes foncés », explique la Dr Christelle Comte, dermatologue à Paris et membre de la Société française de photodermatologie. Cette hyperpigmentation, bien que bénigne, peut avoir un retentissement esthétique, psychologique et social important.
Attention aux indices de protection UVA
Pour les peaux foncées, la protection solaire doit cibler spécifiquement les UVA et la lumière visible, qui passent à travers les vitres. Les UVA sont responsables de l'hyperpigmentation et du vieillissement cutané, tandis que la lumière visible peut aggraver les taches existantes. « Le risque est avant tout pigmentaire et esthétique », précise la Dr Comte. Le choix des produits solaires s’oriente vers une protection contre ces longueurs d'onde.
Identifier les produits protecteurs adaptés est un défi car les caractéristiques de protection contre les UVA et la lumière bleue ne sont pas toujours clairement indiquées sur les emballages. La Dr Comte explique que la mention UVA entourée n’indique pas une protection renforcée, mais seulement le minimum imposé par les normes, qui correspond à un tiers du SPF (pour Sun Protection Factor). Par exemple, un SPF de 50 offre une protection UVA de 15. Pour la lumière bleue, certains filtres comme l'oxyde de fer (pouvant être nommé CI 77492 dans la composition) sont efficaces. Cependant, il faut que leur la concentration soit suffisante et cela reste difficile à évaluer. Les meilleurs indices de protection à rechercher sur l’emballage sont : pour les UVA, la PPD UVA; et pour la lumière bleue, le SPF lumière bleue. Malheureusement, trop peu de marques mentionnent ces indices à ce jour.
Des gammes adaptées
Plusieurs marques de dermocosmétiques ont développé des gammes adaptées, avec des produits dépigmentants, ou des solaires teintés contenant de l’oxyde de fer. « Il faut encourager les laboratoires à développer leur offre de produits », souligne la Dr Comte. Les crèmes teintées doivent être essayées sur le dos de la main, car, bien que d’aspect clair, elles peuvent très bien convenir aux peaux foncées, une fois étalées.
Les enfants à peau foncée ne sont par ailleurs pas concernés par les mesures générales de photoprotection. « Au contraire, ils sont à risque de carences en vitamine D et la protection solaire peut augmenter ce risque ».
La formation des dermatologues doit évoluer. Les livres du Pr Mahé et le diplôme universitaire qu'il dirige sont des références en la matière. Cependant, la pratique clinique reste essentielle pour avoir l’œil. « Environ 95 % des problèmes de peau sont communs à tous les phototypes, mais le diagnostic est compliqué par la moindre palette de couleurs. Sur les peaux foncées, on est sur des dégradés de gris et de brun. Ça demande une certaine expérience », explique la Dr Comte. La plupart des dermatologues exerçant dans des régions où la proportion des peaux foncées est importante ont l’habitude et sont à même de recevoir des patients de tous les phototypes, et sauront à quel expert s’adresser en cas de besoin particulier.
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