Aujourd’hui, la principale utilisation de l’intelligence Artificielle (IA) en diabétologie concerne les algorithmes des boucles fermées dans le diabète de type 1 (DT1), pour prédire la dose d’insuline à délivrer. Une nouvelle vague d’algorithmes encore plus performants est attendue : ils permettront à terme de ne plus avoir à faire d’annonce de repas ou d’activité physique et d’apprendre des habitudes des patients (machine learning). Une autre utilisation phare de l’IA en diabétologie concerne la détection automatisée des complications oculaires (rétinopathies diabétiques) avec des logiciels capables d’analyser les fonds d’œil et de détecter et de grader les rétinopathies diabétiques : ils sont utilisés comme aide au diagnostic par un ophtalmologiste (deep learning).
LE QUOTIDIEN : A quoi faut-il s’attendre dans un futur proche ?
Dr FAGHERAZZI : Dans un avenir plus ou moins proche, on va vers l’intégration de nouveaux algorithmes d’IA dans différents pans de la vie : de quoi imaginer par exemple de mieux identifier les personnes à risque de diabète.
Le dépistage des diabétiques serait donc envisageable grâce à l’IA, mais comment ?
Notre laboratoire travaille beaucoup sur la voix comme source d’information sur la santé des personnes, pas seulement pour le diabète d’ailleurs, mais aussi pour les maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson, la santé mentale, la santé cardiorespiratoire, etc. La voix est analysée et utilisée, soit comme outil de dépistage soit, en cas de pathologie connue, pour le suivi. Nous avons déjà montré que les personnes vivant avec un diabète avaient des voix différentes de la population générale (toutes choses égales par ailleurs comme l’âge, le sexe, etc.). Ce n’est pas forcément perceptible à l’oreille humaine, mais le traitement du signal audio et l’IA arrivent à faire la différence.
Comment expliquez-vous ce changement de voix ?
L’hyperglycémie chronique, l’hypoglycémie, les reflux gastriques plus fréquents chez les personnes vivant avec un diabète, la fatigue chronique et les problèmes d’hydratation, peuvent jouer. L’idée de travailler sur la voix nous est d’ailleurs venue à partir de quelques cas de personnes ayant un diabète depuis plus de 15 ans et qui rapportaient une voix plus rauque.
Pensez-vous pouvoir développer un outil de dépistage à terme ?
Oui, notre objectif est de développer un outil de dépistage pour repérer les personnes à haut risque avec 70 à 75 % de précision (mais pas un outil diagnostique car cet outil ne sera pas assez sensible et pas assez spécifique). La voix étant très facile à collecter de façon non invasive, via un smartphone par exemple, cet outil pourrait être déployé à grande échelle. Il y a plus de 530 millions de personnes diabétiques dans le monde, dont la moitié ne le sait pas : il y a donc un vrai problème à l’échelle mondiale de sous-dépistage du diabète et de découverte de la pathologie à un stade trop tardif, à l’occasion de complications.
Peut-on aider cette recherche sur la voix à notre niveau ?
Nous avons besoin que les personnes diabétiques ou non diabétiques, âgées de plus de 15 ans, partout dans le monde, fassent un don de leur voix pour notre étude sur colivevoice.org. Cela comprend quelques questions sur l’état de santé et des enregistrements vocaux. Cela va nous servir à développer les modèles d’IA pour faire de la détection du diabète et de la détresse liée au diabète (incapacité de gérer son diabète au quotidien car cela génère une trop grande charge mentale). Il faut compter environ 20 minutes pour un don de voix. N’hésitez pas à en parler à vos patients !
L’IA peut-elle encore avoir d’autres applications dans le dépistage des complications par exemple ?
Oui, il existe déjà des modèles capables de prédire la survenue d’un évènement cardiovasculaire à 5 ou 10 ans et des travaux sont en cours pour améliorer ces modèles avec l’IA. L’objectif est d’être encore plus performant dans le domaine de la prévention personnalisée en fonction de risques calculés pour intensifier si besoin leur thérapie et mieux repousser ou réduire ce risque cardiovasculaire, qui reste la complication la plus fréquente des personnes vivant avec un diabète de type 1.
Peut-on imaginer des outils venant coacher de façon très personnalisée les personnes vivant avec un diabète ?
On peut effectivement imaginer des stylos connectés à insuline, qui avec le temps, pourraient faire des recommandations personnalisées en fonction des profils des patients, mais aussi des applis pour smartphone qui pourraient intégrer de l’IA dans les recommandations hygiénodiététiques et donc les choix à faire de façon personnalisée. Mais pour arriver à individualiser les conseils, il faut de grosses bases de données validées, et c’est ce qui prend du temps.
Quel est le principal risque lié à l’utilisation de ces nouveaux outils intégrant de l’IA ?
Le plus gros risque est le biais des données, avec l’entraînement d’un algorithme sur un sous-groupe de population en pensant que c’est généralisable, alors que non : l’outil va alors délivrer de mauvais conseils. Exemple : partir des données recueillies sur des hommes blancs de 50 ans et les appliquer à une femme afro-américaine de 30 ans ! Le problème réside donc dans la qualité et la diversité des données, plus que dans les modèles d’IA. Les données doivent parfaitement correspondre à la population cible, dans laquelle va être utilisé l’algorithme ainsi développé.
Les algorithmes d’IA doivent être stables, robustes, explicables : les caractéristiques des données utilisées pour faire la prédiction ou les recommandations doivent être connues des médecins et des patients pour gagner leur confiance : c’est ce qu’on appelle les enjeux d’explicabilité.
Existe-t-il un risque que des hackers mal intentionnés viennent trafiquer ces outils en échange d’une demande de rançon par exemple, avec des risques pour la santé des personnes les utilisant ?
C’est un risque théorique qui ne peut être écarté mais le fantasme ne doit pas non plus empêcher d’avancer. L’Europe a adopté « l’AI Act », règlement sur l’intelligence artificielle qui, depuis cette année, donne de grandes recommandations sur comment développer des outils basés sur l’IA tout en minimisant les risques et en maximisant les bénéfices. Il existe différents niveaux de classement du risque. Les outils en santé sont généralement classés dans des risques élevés et imposent donc aux développeurs d’avoir des preuves de cybersécurité concernant l’utilisation des données, de leur stockage, des processus, etc.
Quelle sera la place de l’IA générative dans le futur ?
Des nouveaux modèles comme ChatGPT qui génèrent du contenu à partir d’une énorme masse de données pourraient permettre d’échanger avec les patients : ces derniers pourraient poser des questions et obtenir des réponses pertinentes concernant le suivi de leur maladie. Dans notre laboratoire par exemple, nous travaillons actuellement sur un outil de détection de la détresse liée au diabète, insuffisamment détectée en pratique car les diabétologues ont déjà fort à faire en consultation. Cet outil pourrait aider à prévenir et à prendre en charge cette détresse liée au diabète.
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