Chez une femme qui présente une aménorrhée primaire ou secondaire, ou une spanioménorrhée (avec des règles tous les 4 à 6 mois), le diagnostic d’insuffisance ovarienne prématurée (IOP) est à évoquer. Il repose sur une FSH supérieure 25 UI/L, un œstradiol bas et un âge inférieur à 40 ans. « Environ 2 % des femmes sont concernées avant 40 ans (1‰ avant 30 ans et 1/10 000 avant 20 ans). C’est un chiffre assez stable depuis les années soixante », précise la Pr Christin-Maitre, cheffe du service d’endocrinologie de l’hôpital St Antoine (Ap-Hp), Sorbonne Université. Il faut bien distinguer l’IOP (qui s’accompagne d’une fertilité naturelle inférieure à 5 %) de la simple baisse de réserve ovarienne, bien plus fréquente puisqu’elle touche 10 à 15 % des femmes et dont le pronostic est meilleur pour la fertilité : dans ce dernier cas, les femmes ont encore des cycles et leur FSH tourne autour de 10-12 UI/L.
En pratique, les tests diagnostiques comprennent un dosage de la FSH à deux reprises à quatre semaines d’intervalle (retrouvé très élevé), un dosage de l’estradiol (bas). L’hormone antimüllérienne (AMH) est effondrée, sauf dans les causes auto-immunes. L’échographie pelvienne permet de voir les ovaires, sachant que la présence de follicules ne signifie pas une fonction ovarienne normale.
Causes syndromiques, génétiques, auto-immunes…
Parfois, l’étiologie de l’IOP est assez simple à trouver du fait d’un antécédent de chimiothérapie dans l’enfance, de traitement de la région pelvienne par radiothérapie ou de chirurgie large au niveau ovarien. Dans une étude suédoise incluant plus d’un million de femmes, chez les 2 % qui avaient une IOP, les causes iatrogènes représentaient 0,2 % des cas. Lorsqu’aucun antécédent iatrogène ne peut être retenu, il faut rechercher une cause génétique. « Grâce aux énormes progrès réalisés en génétiques au cours de ces dix dernières années, on est passé de 10 % d’étiologies génétiques reconnues à presque 50 % », souligne la Pr Christin-Maitre.
La première est le syndrome de Turner, qui concerne 1/2 500 nouveau-nées en France. « Dans la moitié des cas, il relève d’une monosomie X (45,X) ; dans 20 %, il s’agit d’une forme mosaïque (45,X / 46,XX) ; plus rarement avec un fragment de l’Y (45,X / 46,XY). La présence de ce fragment étant susceptible de favoriser un gonadoblastome (tumeur le plus souvent bénigne), l’ablation des ovaires est souvent proposée », prévient la Pr Christin-Maitre. Le diagnostic du syndrome de Turner est posé à l’âge de 8 ans en moyenne en France, mais certaines formes ne sont diagnostiquées qu’à l’âge adulte — lorsque la femme consulte pour fausses couches à répétition ou une IOP — car les anomalies du morphotype (cou large, implantation basse des cheveux et des oreilles, le thorax en bouclier) ne sont pas constantes, hormis la petite taille, notamment dans les formes mosaïques.
Très peu d’autres syndromes s’accompagnent d’IOP. Le syndrome de Perrault associe une surdité et une IOP tandis que le syndrome de blépharophimose s’accompagne d’un rétrécissement horizontal des fissures palpébrales et une IOP.
« Restent les IOP isolées, sans syndrome associé. Une cause auto-immune est alors suspectée, notamment en cas d’association avec un diabète de type 1, une maladie d’Addison, une maladie cœliaque, une polyarthrite rhumatoïde ou toute autre maladie auto-immune, y compris une atteinte thyroïdienne, mais c’est tellement fréquent qu’il est plus difficile de faire le lien entre IOP et pathologie thyroïdienne. Le dosage des anticorps anti-21-hydroxylase est utile : s’ils sont présents, ils ont une valeur prédictive d’une implication auto-immune », poursuit la Pr Christin-Maitre.
En pratique, le diagnostic étiologique repose sur le caryotype (systématique) et la recherche d’une prémutation du gène FRM1 (après consentement éclairé, dans le cadre d’un conseil génétique) : « ce gène, impliqué dans le syndrome de l’X fragile chez les garçons, est situé sur le bras long du chromosome X. La répétition de triplets CGG causant l’inactivation de FRM1, le nombre de répétition de triplets est analysé : normalement, il y en a moins de 50 (mais plus de 200 dans le syndrome de l’X fragile). Entre 50 et 200 triplets, il s’agit d’une prémutation, qui s’accompagne d’une probabilité d’environ 20 % de faire une IOP, soit 10 fois plus que dans la population générale », explique l’endocrinologue.
Enfin, l’analyse d’un panel de gènes susceptibles d’être impliqués dans les IOP est utile : « l’intérêt d’être prise en charge dans un centre de maladie rare, dont on peut retrouver une cartographie sur Firendo*, est de bénéficier d’une analyse plus complète, incluant une soixantaine de gènes et des analyses génétiques plus poussées (exomes ou génome entier dans le cadre du Plan France génomique) », souligne la Pr Christin-Maitre
Préservation de la fertilité
Le fait de trouver une cause à l’IOP aide la patiente à mieux accepter sa pathologie et, surtout, est fort utile pour tester les autres femmes au sein de la famille, afin de leur proposer une préservation de la fertilité lorsqu’elle est encore possible. « Enfin, les femmes ayant une IOP étant en déficit en estrogènes, une prescription de traitement hormonal substitutif est proposée jusqu’à l’âge moyen de 51 ans. Si ces femmes ont un désir de grossesse, nous leur expliquons que dans l’IOP, il peut y avoir des fluctuations du fonctionnement ovarien dont on ne connaît pas la raison, de sorte que certaines auront une récupération transitoire de la fonction ovarienne : cela ne concerne que 5 à 6 % des cas, c’est donc rare mais pas nul. À défaut, ces femmes pourront être orientées vers des centres d’assistance médicale à la procréation et bénéficier d’un don d’ovocyte », indique la Pr Christin-Maitre.
Entretien avec la Pr Sophie Christin-Maitre, cheffe du service d’endocrinologie de l’hôpital St Antoine, Sorbonne Université
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024