La balance bénéfices-risques des médicaments antidiabétiques
Le traitement pharmacologique du diabète de type 2 (DT2) fait toujours la part belle aux anciens médicaments, avec la metformine comme premier choix incontesté et les sulfamides comme second choix préférentiel – selon les dernières recommandations de la Haute Autorité de santé – et comme choix possible parmi d’autres, selon le document rédigé par les sociétés européenne et américaine de diabétologie et approuvé par la Société francophone du diabète (SFD).
Force est de reconnaître que ces médicaments ont finalement été assez mal validés dans des essais cliniques anciens qui ne répondraient plus aux critères de qualité imposés maintenant aux nouveaux médicaments. Ils bénéficient cependant d’une large et longue expérience clinique et offrent l’avantage, non négligeable, d’un coût limité et donc a priori attractif. Ils ne permettent cependant pas de traiter correctement tous les patients et exposent à des risques parfois graves dont le risque hypoglycémique bien connu avec les sulfamides.
Les nouveaux médicaments, récemment commercialisés ou en cours de développement, doivent maintenant suivre un programme d’investigation clinique de plus en plus exigeant, avec un coût de développement qui n’a plus rien à voir avec celui des anciens médicaments. Ils offrent des avantages incontestables, par exemple, absence d’hypoglycémie et de prise de poids avec les inhibiteurs de la DPP4 (gliptines) ou les inhibiteurs des SGLT2 (gliflozines).
LA PLUS-VALUE MOYENNE EN POPULATION PEUT PARFOIS PARAITRE LIMITEE
Bien que l’expérience clinique soit plus limitée, il apparaît évident qu’ils ont été (et sont encore) mieux validés dans de grandes études cliniques contrôlées que les anciens médicaments, en particulier dans certaines populations à risque comme les personnes âgées, les sujets avec insuffisance rénale ou hépatique et les patients à haut risque cardio-vasculaire.
La conséquence en est que le coût de ces nouveaux médicaments dépasse largement celui des anciens, pour une plus-value moyenne qui peut parfois paraître relativement limitée. Par ailleurs, alors que l’on est finalement assez clément vis-à-vis des manifestations indésirables provoquées par les molécules anciennes, tout signal éventuellement négatif suspecté avec les nouvelles molécules est immédiatement mis en exergue, au risque de tuer toute innovation thérapeutique.
La France a connu le retrait de la pioglitazone et les médicaments de type incrétine font actuellement l’objet de suspicion quant à leur sécurité pancréatique (lire aussi page 3). Rappelons à ce sujet que les molécules comme les biguanides (metformine) et les sulfamides, plébiscitées actuellement, ont failli être retirées du marché il y a 30-40 ans en raison d’effets indésirables potentiellement graves et ne résisteraient sans doute pas à la critique ambiante s’ils devaient être développés et mis sur le marché actuellement.
L’enjeu sera donc d’évaluer la balance bénéfices/risques des différents médicaments dans son ensemble, de façon rationnelle et non émotionnelle comme cela est trop souvent le cas les derniers temps.
L’individualisation des traitements et l’évitement de l’empilement des molécules.
Le DT2 est une maladie très hétérogène à de nombreux points de vue (génétique, physiopathologique, sociopsychologique…) et il n’est donc pas étonnant qu’au sein de la population avec DT2, il existe des patients bons et mauvais répondeurs, à l’une ou l’autre approche thérapeutique.
Ainsi, de trop nombreux patients reçoivent sans doute certains médicaments hypoglycémiants qui, chez eux, sont relativement inefficaces. Ceci contribue évidemment à l’augmentation du coût global du traitement pharmacologique du DT2. L’avenir devra donc mieux individualiser les traitements en fonction des caractéristiques des patients DT2 de façon à choisir pour chaque patient le traitement qui lui convient le mieux. Une excellente réponse dans un groupe de patients bien ciblés est préférable à une réponse très moyenne dans une large population non correctement sélectionnée.
LA STRATEGIE ESSAI-ERREUR EST DOMMAGEABLE QUAND IL Y A INERTIE THERAPEUTIQUE
De ce point de vue, les firmes pharmaceutiques devront sans doute revoir leur stratégie de développement et ne plus se lancer à tout prix dans la quête du Graal, à savoir la commercialisation d’un « blockbuster ». À ce jour, force est de reconnaître que les données disponibles en termes de médecine factuelle sont relativement limitées pour donner des conseils précis aux prescripteurs. Ils sont dès lors, et le plus souvent, contraints de choisir le traitement en fonction de recommandations générales « passe-partout » ou selon la stratégie « essai-erreur », particulièrement dommageable lorsqu’il existe par ailleurs une inertie thérapeutique.
Lorsqu’un traitement ne fonctionne pas ou, en tout cas, ne permet pas ou plus d’atteindre la cible glycémique fixée, il est généralement proposé d’ajouter un second, puis un troisième médicament, voire davantage (cf. les recommandations européennes et de l’HAS). Le patient est donc confronté à un véritable empilement de médications hypoglycémiantes susceptibles non seulement de diminuer son observance thérapeutique mais aussi de l’exposer à des manifestations indésirables (voir les résultats de l’étude ACCORD) ou encore de grever le budget des soins de santé.
Trop rarement sans doute, en l’état actuel, le médecin prend la décision d’arrêter un médicament hypoglycémiant inefficace et de le remplacer par un autre et préfère opter, généralement, pour des thérapies combinées, suivant en cela la plupart des recommandations. Il conviendra probablement, à l’avenir, de changer quelque peu de paradigme pour une utilisation plus optimale de l’arsenal thérapeutique. L’inertie thérapeutique ne doit pas seulement être vue comme un défaut d’initiation ou d’intensification du traitement, mais aussi comme un manque de décision quant à l’interruption d’une thérapie qui, à l’évidence, est (ou est devenue) inefficace, voire parfois dangereuse (par exemple, en cas d’apparition d’une insuffisance rénale).
La place de l’éducation thérapeutique.
Au vu de cette complexité croissante du traitement du DT2, pour les soignants comme pour les soignés, il convient que les uns et les autres bénéficient d’une éducation thérapeutique, particulièrement importante pour la première ligne de soins. En effet, rien ne sert de développer et de mettre sur le marché des molécules performantes, et onéreuses, si elles sont prescrites de façon imparfaite ou mal utilisées par les patients. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, quelle que soit l’approche pharmacologique proposée, elle ne pourra être couronnée de succès que si le patient DT2 respecte les mesures hygiénodiététiques qui restent la clé de voûte du traitement, mais également représentent son véritable tendon d’Achille.
La France a développé l’éducation thérapeutique. Force est de reconnaître cependant que celle-ci est réalisée de façon inégale. Le succès de cette démarche doit, à mon sens, être évalué non seulement d’un point de vue simplement quantitatif, mais aussi, et j’oserais dire surtout, d’un point de vue qualitatif. Le but ultime est, en effet, d’améliorer la formation des soignants et des soignés pour, in fine, garantir une meilleure qualité des soins prodigués aux patients DT2, avec un rapport coût/efficacité et coût/utilité raisonnable.
* Nouveau président de la Société francophone du diabète. Diabétologie, nutrition et maladies métaboliques, CHU de Liège. Faculté de médecine de l’université de Liège. Centre de l’obésité, CHU Ourthe-Amblève, Esneux. Unité de pharmacologie clinique, CHU Sart Tilman.
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