Nos palais seraient, aujourd’hui, bien incapables d’approcher la qualité d’un vin du Moyen-Âge ou d’un mets de la Renaissance. La compréhension de l’évolution des sensations gustatives, à travers les siècles, est un travail d’historien. Au Moyen-Âge et durant l’époque moderne, le discours lettré a hiérarchisé les cinq sens. « Certains ont été valorisés, tels que la vue et l’ouïe. D’autres, considérés comme vils : c’est le cas du goût et du toucher. Entre ces quatre sens, l’odorat bénéficie d’une position intermédiaire. Il a été tantôt valorisé, tantôt dévalorisé », indique Florent Quellier, historien et chercheur CNRS/Université d’Angers.
Un sens longtemps méprisé
Comment comprendre cette hiérarchie des sens ? Les travaux de l’historienne Viktoria von Hoffmann, sur la question du goût à l’époque moderne, apportent quelques éclairages. « La première opposition a consisté à considérer certains sens comme relevant du spirituel (la vue, l’ouïe) et d’autres, du charnel (le goût, le toucher). Une autre théorie a opposé les sens fonctionnant à distance (la vue, l’ouïe, l’odorat) à ceux de contact direct (goût et toucher). Par ailleurs, certains sens ont été associés à l’humanité et à la créativité (la vue permettant la lecture, l’ouïe liée à la musique). D’autres sens au contraire renvoient à l’animalité, à la nécessité physiologique de se nourrir (le goût) et de se reproduire (le toucher) », affirme Florent Quellier. Cette dimension charnelle du goût est comprise comme un « toucher par la langue ». L’aliment descend ensuite dans l’œsophage puis, dans le bas du corps. Il entretient ainsi une forme de toucher comprise comme générant du plaisir. « Cesare Ripa, auteur de ‘l’Iconologie’, livre d’emblèmes célèbre en son temps, a, par exemple, représenté la gloutonnerie de façon allégorique : le cou du personnage glouton étant long comme une grue afin qu’il puisse profiter le plus longuement possible du plaisir tactile provoqué par l’aliment », précise Florent Quellier. Dans les sociétés occidentales, la fourchette ne s’est imposée qu’au XVIIIe siècle. La population a donc longtemps mangé avec les doigts, ce qui a renforcé le lien entre le goût et le toucher. « La viande, dont le gras coulait sur les doigts, provoquait un plaisir tactile, celui du goût, signifié par les doigts portés à la bouche : une pratique des plus gourmandes, à l’origine de l’expression « s’en lécher les doigts » », illustre Florent Quellier.
Palais fin et art culinaire
Selon la représentation chrétienne des sept péchés capitaux, gourmandise et luxure allaient de pair. Elles symbolisaient la déchéance de l’homme. Le ventre étant proche du bas-ventre (donc, des plaisirs sexuels), les plaisirs alimentaires étaient dévalorisés. Le savoir médical confirme cette union. « Au Moyen-Âge, les ouvrages médicaux associaient les plaisirs alimentaire et sexuel, ceux-ci arrivant à maturité grâce à l’échauffement des sens », note Florent Quellier.
Mais, au cours de l’époque moderne, le palais joue un rôle de premier plan et participe à la redéfinition du goût. La littérature culinaire du XVIIIe siècle considère le palais comme « délicat », « fin ». « Le goût accède alors à une position positive : à la partie haute et noble du corps. Le palais contribue à intellectualiser le plaisir alimentaire », précise Florent Quellier. Tout au long du XVIIIe siècle, le « bon gourmand » devient celui qui valorise son palais, qui a la connaissance des bons produits. Il existe alors un « bon » et un « mauvais » goût. Par exemple, les livres de cuisine mettent en avant les bons morceaux de viande, dont il faut apprécier les saveurs, et les aliments que l’on ne doit pas consommer. Petit à petit, le goût de la bonne chère lié au gras est concurrencé par une nouvelle saveur : le sucre, produit par la canne à sucre. « Au XIXe siècle, le goût du sucre est davantage associé au plaisir alimentaire féminin, enfantin, immature. Il est plutôt dévalorisé, aux antipodes du goût masculin et viril, axé vers la viande et le gras. Deux aliments considérés, à l’époque, comme nobles », précise Florent Quellier.
D’après un colloque organisé par l’Académie de médecine, « L’alimentation aujourd’hui et demain », juin 2021
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