Par Hélène Joubert, avec la Pr Nadine Attal, responsable du centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) de l'hôpital Ambroise-Paré (AP-HP-Paris) et Inserm U 987
En résumé
■ La prise en charge de la neuropathie diabétique dépend du type d’atteinte.
■ Devant un tableau de neuropathie sensitive (perte de sensibilité), le patient est à considérer comme un sujet à risque de plaie chronique.
■ En cas de douleur neuropathique, la prise en charge antalgique associe traitements médicamenteux et non médicamenteux (dont la neurostimulation). Elle diffère selon l’étendue de la douleur, les traitements topiques étant à privilégier dans les douleurs focalisées.
■ Certaines mesures plus générales doivent être associées (arrêt du tabac, dosage de la vitamine B12, dépistage de la dépression, etc.).
■ Le contrôle de la glycémie n’améliore pas la douleur et doit être progressif, au risque sinon de favoriser une névrite insulinique.
INTRODUCTION
Très prévalente chez les patients diabétiques de types 1 et 2, la neuropathie diabétique progresse et reste insuffisamment prise en charge. Touchant les grosses et les petites fibres nerveuses, cette neuropathie périphérique peut se traduire à la fois par des pertes de sensibilité (neuropathie diabétique sensitive) et par des douleurs (neuropathie diabétique douloureuse), selon la nature de l’atteinte nerveuse.
Un premier volet paru dans le n° 10 052 du Quotidien du médecin était consacré à la physiopathologie et au diagnostic de ces différents types de neuropathie diabétique. Cette seconde partie détaille l’approche thérapeutique, qui diffère selon le type et l’étendue de la neuropathie. Une large place sera consacrée à la prise en charge de la douleur neuropathique.
PRISE EN CHARGE DE LA NEUROPATHIE DOULOUREUSE
> Généralités
Une fois le diagnostic de neuropathie diabétique douloureuse posé, les patients doivent dans l’idéal être orientés vers des centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD). Leur neuropathie y sera phénotypée (caractéristiques, localisation bilatérale ou non, extension…). Les algologues feront la part des choses entre neuropathie diabétique douloureuse et douleurs générées par d’éventuelles pathologies concomitantes, dans l’optique de délivrer le traitement le plus adapté à leur douleur.
Le traitement de la douleur neuropathique est principalement symptomatique et multimodal (1).
Si au moment de l’évaluation initiale de la douleur par l’échelle visuelle analogique (EVA), l’intensité douloureuse est évaluée à 3 ou moins par le patient, la prescription d’un médicament à visée antalgique est discutable.
Bien que certains traitements pathogéniques de la neuropathie diabétique existent, comme l'acide alpha-lipoïque, ils ne sont pas remboursés en France et leur accès est difficile, contrairement à d'autres pays européens. Leur effet sur la douleur neuropathique est d’ailleurs partiel, ce qui ne dispenserait pas de recourir à des traitements symptomatiques.
Les analgésiques conventionnels tels que l’aspirine, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, le paracétamol, ainsi que les opioïdes faibles (codéine, Lamaline, poudre d’opium) se montrent généralement inefficaces. En effet, la douleur neuropathique mobilise des mécanismes différents de ceux de la douleur nociceptive, comme les décharges ectopiques sur neurones endommagés.
L'hyperexcitabilité neuronale observée dans la neuropathie (diabétique) douloureuse a des répercussions au niveau cérébral, entraînant une augmentation de la dépression, de l'anxiété et des troubles du sommeil. La fréquence et la durée de ces troubles dépassent celles observées pour des douleurs chroniques d'intensité similaire mais d'origine différente, formant un cercle vicieux à prendre en compte dans la prise en charge des patients.
Les recommandations françaises (1) sur les douleurs neuropathiques (diabétiques ou non) préconisent de distinguer la neuropathie douloureuse localisée, pour laquelle le traitement local est privilégié, et les neuropathies douloureuses plus étendues, relevant de traitement systémique.
> En cas de douleurs neuropathiques focales
● Si le patient présente des douleurs neuropathiques localisées (exemple : brûlure sous la plante des pieds, froid autour des orteils, etc.), les sociétés savantes recommandent en première intention l’utilisation des emplâtres de lidocaïne à 5 % (1-3/jour pendant 12 heures consécutives), bien que ce traitement n’ait qu’une AMM restreinte à la douleur post-zostérienne. Des études ont en effet montré une certaine efficacité dans les douleurs neuropathiques distales localisées.
● En deuxième intention, il est possible d’utiliser des patchs de haute concentration en capsaïcine (8 %, 1-3 patchs/3 mois), qui disposent d'une AMM pour les douleurs neuropathiques périphériques y compris diabétiques. Ces patchs sont appliqués en hôpital de jour et offrent un effet rémanent pendant trois mois. Ils agissent sur les petites fibres endommagées (2).
● En troisième intention, la toxine botulique A (50-300 unités SC/3 mois) peut être également utilisée pour ses effets analgésiques, en plus de ses propriétés myorelaxantes. Des études ont montré son efficacité dans la douleur neuropathique diabétique (hors AMM, exclusivement dans certaines structures douleur chronique) (3).
● Il est possible d’associer un traitement topique avec un, voire deux traitements généraux, et, en centre expert, plusieurs solutions topiques peuvent être combinées, par exemple les emplâtres de lidocaïne et la toxine botulique.
> En cas de douleurs neuropathiques étendues
● Les traitements d'action centrale, dont l'efficacité est bien établie, comprennent en première ligne les antidépresseurs tels que la duloxétine (60-120 mg/jour), qui inhibe la recapture de la sérotonine (5-HT) et de la noradrénaline, et qui dispose d'une AMM dans la douleur neuropathique diabétique, ainsi que la venlafaxine (150-225 mg/jour, hors AMM dans la douleur neuropathique diabétique) et l’antiépileptique gabapentine, qui possède une AMM pour la douleur neuropathique périphérique. L'élément clé réside dans leur capacité à agir à la fois sur les douleurs continues et paroxystiques. Ils sont efficaces contre les douleurs neuropathiques, quelle que soit leur origine.
● Les antidépresseurs tricycliques, tels que l’amitriptyline (10-150 mg/jour), la clomipramine (10-150 mg/jour) et l’imipramine (10-150 mg/jour), sont également utilisés dans le traitement de la douleur neuropathique, avec de grandes précautions d’emploi en raison de leurs effets indésirables (risques d’hypotension orthostatique et de troubles cardiaques à surveiller notamment aux doses > 75 mg/jour). L’amitriptyline et la clomipramine, qui ont une AMM pour la douleur neuropathique et agissent principalement de manière centrale, ont également un effet périphérique sur les petites fibres hyperexcitables de par leur action sur les canaux sodiques. C’est d’ailleurs pour cette dernière raison qu’il est possible de prescrire l’amitriptyline en topique (hors AMM).
● La prégabaline (150-600 mg/jour, AMM dans la douleur neuropathique) arrive en seconde ligne en France désormais, du fait des risques d’abus potentiels et de dépendance (ordonnance sécurisée).
● Les opiacés ne doivent jamais être prescrits en première ni en deuxième intention, sauf éventuellement le tramadol (100-400 mg/d), une prescription qui relève du spécialiste de la douleur. C’est également le cas des opioïdes forts, qui peuvent être utilisés en l'absence d'alternative, mais avec précaution en raison du risque d'abus (doses < 140 mg d'équivalent morphine).
● Récemment, plusieurs études cliniques de bonne qualité ont indiqué l’intérêt de l'utilisation de combinaisons thérapeutiques, en particulier l'association de gabapentinoïdes et d'antidépresseurs à posologies modérées, notamment pour des raisons de tolérance (4, 5). Cette approche s’avère aussi efficace que l'augmentation des doses en monothérapie. L’important en soins de premiers recours est la notion de titration, en fonction de la tolérance et de l’efficacité (voir plus bas).
En structure de lutte contre la douleur, les combinaisons rationnelles sont souvent utilisées. Elles peuvent être tentées en médecine générale, car potentiellement pertinentes lorsque la titration optimale d’une monothérapie s’avère insuffisante sur la douleur, à la condition d’utiliser deux principes actifs issus de classes thérapeutiques différentes, et qui ont des mécanismes d’action complémentaires.
● Le choix de la molécule dépend du profil du patient, incluant les comorbidités, les contre-indications médicales et psychiatriques. Par exemple, si un patient présente des troubles anxieux sévères en plus de sa douleur, plusieurs options thérapeutiques peuvent être envisagées. Il est donc possible de prescrire des antidépresseurs, mais aussi certains antiépileptiques, comme la prégabaline, qui ont des effets sur l'anxiété. Pour les troubles anxieux spécifiques, tels que les crises de panique, des médicaments comme la clomipramine (antidépresseur tricyclique) à faible dose peuvent être appropriés.
> Adaptation du traitement et suivi
L’important en soins primaires est la titration des traitements, en fonction de la tolérance et de l’efficacité. Dans beaucoup de cas, les médicaments sont jugés inefficaces alors qu'ils n'ont pas été bien titrés, par crainte des effets indésirables.
Tous les traitements oraux doivent être débutés à faible dose puis leur posologie augmentée progressivement (en général par paliers de 4-7 jours, sur un mois en moyenne). À cette fin, il faut évaluer la douleur sur une échelle numérique (de 0 à 10), au départ puis à chaque consultation afin d’apprécier le soulagement et donc l’efficacité du médicament.
Une fois la dose maximale tolérée atteinte, le patient doit être revu à un mois. Si la douleur a été réduite de façon cliniquement pertinente pour le patient (ce qui correspond en général à un soulagement d’au moins 30 %) mais qu’elle reste supérieure à 3/10, on peut alors associer un second médicament. En cas d’effets indésirables non tolérables ou de manque d’efficacité (diminution de la douleur et/ou amélioration fonctionnelle de moins de 30 % ), un changement pour un traitement de deuxième intention peut être proposé.
Attention au risque de névrite insulinique
Bien que le contrôle du diabète soit essentiel, la normalisation de l’HbA1c n’impacte pas la douleur ressentie par le patient, ni ne favorise une éventuelle résolution de la neuropathie, dont la réversibilité demeure une question. Par ailleurs, la rapidité de la correction du déséquilibre glycémique (diminution supérieure à 2 points de pourcentage de l’HbA1c sur trois mois, quel que soit le traitement) peut provoquer une névrite dite « insulinique », car historiquement associée à l'utilisation de l'insuline. Celle-ci peut survenir également sous régime alimentaire drastique, analogues du GLP-1, boucle semi-fermée, etc.
> Les traitements non pharmacologiques
● Les dernières recommandations entérinent la place des techniques de neurostimulation non invasive. Les traitements pharmacologiques peuvent être combinés à des techniques de ce type, comme la stimulation électrique transcutanée (TENS, remboursée sur prescription émanant d’une structure douleur chronique).
De nouvelles techniques de neurostimulation cérébrale, telles que la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) ou, plus rarement, la stimulation à courants continus (tDCS) appliquées sur le cortex moteur, émergent dans le traitement de la douleur neuropathique, notamment diabétique, sur la base d’études contrôlées contre stimulation placebo (6).
● La stimulation médullaire est une technique de neuromodulation qui consiste à stimuler de manière chronique les cordons dorsaux à l'aide d'une électrode épidurale postérieure, dans le but de renforcer les mécanismes physiologiques inhibiteurs de la douleur. Elle est recommandée par la HAS depuis 2014 et la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et remboursée dans l’indication « polyneuropathie diabétique ». Bien que l’appareillage soit désormais miniaturisé et que la technique soit réversible, son utilisation dans le cadre de la neuropathie douloureuse diabétique demeure trop rare et est proposée probablement trop tardivement. Environ 60 % des patients constatent une amélioration de plus de 50 % sur la base de plusieurs larges études contrôlées randomisées multicentriques (réalisées en ouvert) avec un effet qui persiste sur le long terme (7, 8, 9).
● La psychothérapie (thérapies cognitivo-comportementales et de pleine conscience) est recommandée comme traitement de deuxième ligne, en complément d’autres thérapies, notamment pour réduire la peur de la douleur, du mouvement et la focalisation excessive sur la douleur.
● L’activité physique adaptée et le reconditionnement à l’effort sont également recommandés dans tous les cas, car ils peuvent avoir des effets analgésiques propres.
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PRISE EN CHARGE DE LA NEUROPATHIE SENSITIVE
En cas de neuropathie diabétique sensitive, le patient est considéré comme sujet à risque d’ulcération chronique et par conséquent d’hospitalisation, voire d’amputation. La gradation du risque d’ulcération des pieds chez le patient diabétique va de 0 (absence de neuropathie sensitive) au grade 1 (neuropathie sensitive isolée) puis aux grades 2 (neuropathie sensitive associée à une artériopathie des membres inférieurs et/ou à une déformation du pied) et 3 (antécédent d’ulcération du pied évoluant depuis plus de 4 semaines et/ou d’amputation des membres inférieurs).
L’Assurance-maladie prend en charge des séances de prévention des lésions du pied diabétique à risque de grades 2 et 3 par le pédicure podologue (grade 2 : 5 séances remboursées par an sur prescription annuelle ; grade 3 : 6 séances et 8 en cas de plaie en cours de cicatrisation).
À ne pas oublier
Chez un patient atteint de neuropathie douloureuse :
Écouter, soutenir et accompagner
Dépister la dépression
Orienter vers un centre d'évaluation et de traitement de la douleur (CETD)
Équilibrer progressivement le diabète
Encourager l'arrêt du tabac
Vérifier l’absence d’une carence en vitamine B12 sous metformine (associée à des polyneuropathies cliniquement plus sévères)
Encourager la perte de poids si nécessaire
Recommander une activité physique
Liens d’intérêts pour la Pr Nadine Attal : laboratoires Novartis, Grünenthal, Merz, Biogen, Viatris
Bibliographie :
(1) Moisset X et al. Pharmacological and non-pharmacological treatments for neuropathic pain: Systematic review and French recommendations. Rev Neurol (Paris). 2020 May;176(5):325-352.
(2) Simpson DM et al. Capsaicin 8 % Patch in Painful Diabetic Peripheral Neuropathy: A Randomized, Double-Blind, Placebo-Controlled Study. J Pain. 2017 Jan;18(1):42-53.
(3) Attal N et al. Safety and efficacy of repeated injections of botulinum toxin A in peripheral neuropathic pain (BOTNEP): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet Neurol. 2016 May;15(6):555-65.
(4) Tesfaye S et al. OPTION-DM trial group. Comparison of amitriptyline supplemented with pregabalin, pregabalin supplemented with amitriptyline, and duloxetine supplemented with pregabalin for the treatment of diabetic peripheral neuropathic pain (OPTION-DM): a multicentre, double-blind, randomised crossover trial. Lancet. 2022 Aug 27;400(10353):680-690. Erratum in: Lancet. 2022 Sep 10;400(10355):810.
(5) Tesfaye S et al. Duloxetine and pregabalin: high-dose monotherapy or their combination? The "COMBO-DN study"-a multinational, randomized, double-blind, parallel-group study in patients with diabetic peripheral neuropathic pain. Pain. 2013 Dec;154(12):2616-2625.
(6) Attal N et al. Repetitive transcranial magnetic stimulation for neuropathic pain: a randomized multicentre sham-controlled trial. Brain. 2021 Dec 16;144(11):3328-3339.
(7) de Vos CC et al. Spinal cord stimulation in patients with painful diabetic neuropathy: a multicentre randomized clinical trial. Pain. 2014 Nov;155(11):2426-31.
(8) Slangen R et al. Spinal cord stimulation and pain relief in painful diabetic peripheral neuropathy: a prospective two-center randomized controlled trial. Diabetes Care. 2014 Nov;37(11):3016-24.
(9) Petersen EA et al. Effect of High-frequency (10-kHz) Spinal Cord Stimulation in Patients With Painful Diabetic Neuropathy: A Randomized Clinical Trial. JAMA Neurol. 2021 Jun 1;78(6):687-698.
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