La grossesse peut être assimilée à un scratch stress physiologique pour la femme. Les hormones placentaires et les facteurs de croissance exposent les mères prédisposées aux maladies métaboliques, en majorant la résistance à l'insuline (IR) précédemment ignorée, entraînant un léger dysfonctionnement des cellules bêtapancréatiques, avec un excès de glucose et de lipides circulants liés à l'IR. Quoique cette réorganisation métabolique induite par la grossesse soit destinée à assurer une nutrition adéquate du fœtus et du placenta, chez les mères obèses et atteintes d'un syndrome métabolique, ou chez celles qui développent un diabète gestationnel (DG), cette suralimentation du fœtus expose à un risque pour l'avenir métabolique du sujet, dès l'enfance et jusqu'à l'âge adulte.
« Tératogenèse induite par les fuels métaboliques »
Il y a près de 40 ans, Norbert Freinkel, le précurseur américain auquel cet article de revue est dédié (1), avait alerté sur les risques de la surexposition aux nutriments intra-utérins pour le développement ultérieur de l'enfant et de l'adulte en devenir, qu'il a qualifié de « tératogenèse induite par les fuels métaboliques ». Cela ne se cantonne pas à l'excès de glucose maternel.
Ce travail de revue tente de disséquer les causes et les mécanismes de l'IR liée à la grossesse et de caractériser l'environnement métabolique intra-utérin conduisant, dans un premier temps, à des modifications de la composition corporelle du nouveau-né, le faisant devenir un « gros bébé ». Mais pas seulement. D'autres conséquences sont bien plus lointaines. Les innovations technologiques, de plus en plus spectaculaires dans des domaines comme la génomique, la protéomique et la métabolomique, offrent des approches novatrices pour explorer les processus métaboliques chez la mère, dans son microbiome, sur la physiologie placentaire et chez le fœtus produit de ces grossesses à risque. Si ces efforts aboutissaient, les chercheurs, les endocrinologues, les obstétriciens et les prestataires de soins pourraient mieux prendre charge des femmes enceintes à risque, en espérant un effet positif à court comme à long terme, pas uniquement pour la santé future de la mère mais aussi pour la génération suivante.
Promotion de cellules-souches adipogènes
Les femmes obèses enceintes ont en effet des niveaux glycémiques, d'insulinémie, de triglycérides (VLDL et chylomicrons) et d'acides gras libres (AGL) plus élevés que ceux mesurés chez des femmes enceintes de poids normal, avec en outre des marqueurs de l'inflammation. Les femmes ayant un DG ont des glycémies et des insulinémies encore plus élevées, tandis que les taux de TG sont équivalents chez les femmes enceintes obèses et celles atteintes de DG. Le passage de quantités élevées de ces métabolites chez le fœtus (glucose, AGL, acides aminés), l'élévation réactionnelle de l'insulinémie, la promotion de cellules-souches à fort risque de développer plus d'adipogenèse, aboutissent à de multiples conséquences pour le nouveau-né.
Les risques sont multiples : macrosomie, stéatose hépatique (Nash) précoce, modifications épigénétiques, perturbations de la fonction des cellules bêta, troubles de la régulation de l'appétit et de divers comportements, dysfonction de la balance énergétique, mitochondriale et du microbiome. Plus tard, dans l'enfance, l'adolescence et à l'âge adulte, ces troubles vont persister et on note un excès de prise alimentaire, une tendance à la prise de poids, plus d'obésité, plus de Nash, de maladies métaboliques et globalement un risque cardiovasculaire plus élevé.
Une épidémie d'obésité
Ces grossesses à haut risque métabolique sont de plus en plus nombreuses, partout dans le monde et pas seulement dans les pays développés (Afrique, Maghreb, Moyen-Orient, Europe de l'Est, Chine, Inde, Asie). Cela ne manquera pas d'aggraver l'épidémie d'obésité et de diabète déjà en forte propagation, puisqu'il engage un avenir santé « programmé » des générations futures. Autant la transmission d'un héritage génétique est dans la nature même des choses. Autant cet héritage métabolique est lourd à porter, et injuste pour ces adultes en devenir. Un immense chantier attend les systèmes de santé. Toutes sortes de mesures préventives devraient être pensées et mises en œuvre rapidement, avec une prise en charge de ces femmes dès le tout début de leur grossesse… et surtout avant.
Professeur émérite, université Grenoble-Alpes
(1) Barbour LA. Metabolic Culprits in Obese Pregnancies and Gestational DiabetesMellitus: Big Babies, Big Twists, Big Picture : The 2018 Norbert Freinkel Award Lecture. Diabetes Care 2019 May;42(5):718-26. doi: 10.2337/dci18-0048.
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