PAR LE Pr JEAN-FRANÇOIS BRETAGNE*
LES INHIBITEURS de pompes à protons (IPP) sont très largement prescrits – environ 60 millions de boîtes vendues en France en 2009 – eu égard à leur grande efficacité antisécrétoire gastrique acide et à leur sécurité d’emploi. Cependant, comme tous les médicaments, les IPP exposent à des effets secondaires potentiels dont certains n’ont été que récemment soupçonnés alors que l’arrivée sur le marché du premier d’entre eux, l’oméprazole, remonte à plus de 20 ans. Certains des effets ne sont que la conséquence « logique » de l’effet antisécrétoire, plus marqué avec les IPP qu’avec les anti-H2 (achlorhydrie, augmentation de la gastrinémie). D’autres font intervenir des mécanismes différents à type d’idiosyncrasie, d’interaction médicamenteuse ou autres.
Interactions médicamenteuses.
L’augmentation du pH gastrique induite par les IPP est de nature à diminuer l’absorption de certains médicaments, notamment celle des antirétroviraux utilisés chez les patients porteurs du VIH. C’est le cas de l’atazanavir, surtout lorsqu’il est utilisé en monothérapie. En pratique, il est préférable de ne pas prescrire d’IPP à un patient équilibré par un traitement antirétroviral sans en référer à son infectiologue.
En inhibant le cytochrome P450 et par d’autres mécanismes encore, les IPP peuvent affecter le métabolisme de certains médicaments, mais la portée clinique des interactions est modeste, à l’exception peut-être du cas du clopidogrel.
En novembre 2009, les agences du médicament, FDA aux Etats-Unis, EMA pour l’Europe et AFSSAPS pour la France, recommandaient de concert aux praticiens et aux patients concernés de ne pas associer un IPP au clopidogrel, sauf « nécessité absolue ». Une diminution de l’effet antiagrégant plaquettaire avait été démontrée ex vivo, principalement avec l’oméprazole et inconstamment avec les autres IPP. La question qui subsiste aujourd’hui est celle de la pertinence clinique de l’effet biologique rapporté ex vivo et donc celle des recommandations. Une récente métaanalyse regroupant 25 études a conclu à une augmentation significative du risque de complication cardio-vasculaire de 29 % et de celui d’infarctus du myocarde de 31 % chez les patients recevant un IPP et du clopidogrel, par rapport à ceux ne recevant que le clopidogrel, sans modification de la mortalité. Un tel résultat ne plaide pas inéluctablement en faveur d’une interaction, car les patients traités par IPP et clopidogrel partagent des facteurs de risque digestif et cardio-vasculaire communs. L’essai COGENT, seul essai randomisé et contrôlé IPP (oméprazole) versus placebo, n’a pas démontré d’augmentation du risque cardio-vasculaire parmi les patients recevant une bithérapie antiagrégante de type aspirine-clopidogrel dans le groupe oméprazole.
Associer un IPP au clopidogrel pose la question du rapport bénéfice digestif/risque cardio-vasculaire, et celle des indications de la gastroprotection chez les patients recevant des antiagrégants plaquettaires. L’antécédent d’hémorragie ulcéreuse est le facteur de risque digestif qui a le plus de poids, mais il faut citer aussi les antécédents d’ulcère gastroduodénal non compliqué, l’association à un traitement anticoagulant, antiinflammatoire non stéroïdien ou une corticothérapie. Un âge supérieur à 65 ans et la présence d’une infection par Helicobacter pylori sont d’autres facteurs de risque, et plus ils sont nombreux, plus la prescription d’IPP est justifiée.
Pas de risque de cancer digestif.
Il n’a jamais été rapporté d’augmentation du risque de cancer digestif (estomac, œsophage, côlon) chez les personnes traitées par IPP au long cours. Cependant, chez les personnes infectées par H. pylori, les IPP accélèrent l’évolution atrophiante de la gastrite – raison pour laquelle le consensus de Maastricht a recommandé d’éradiquer H. pylori chez tout malade infecté devant recevoir des IPP au long cours. Le vrai risque des IPP est représenté par les traitements empiriques, qui exposent à un retard au diagnostic endoscopique, d’autant plus fréquent que le cancer gastrique se révèle très souvent par des symptômes peu spécifiques. Les IPP augmentent le risque de polypes glandulo-kystiques (PGK), qui sont devenus les plus fréquemment observés au niveau de l’estomac (5 %). Leur découverte ne constitue un argument ni pour arrêter les IPP ni pour surveiller les patients endoscopiquement. Une hyperplasie des cellules entérochromaffine-like (ECL) est observée chez environ 30 % des patients traités au long cours par IPP, principalement ceux infectés par H. pylori, mais aucun cas de tumeur carcinoïde gastrique ne leur a jamais été imputé. Une augmentation modérée (‹ 3N) du taux sérique de chromogranine A est fréquemment associée à un traitement IPP, et peut conduire à rechercher inutilement une pathologie tumorale carcinoïde lorsque le lien avec le médicament n’est pas évoqué.
Pneumopathies et infections intestinales.
L’acidité gastrique jouant un rôle important dans le contrôle du nombre des bactéries présentes dans le tractus digestif supérieur et dans celui de la composition de la flore microbienne intestinale, on conçoit que l’hypochlorhydrie induite puisse favoriser certaines infections pulmonaires ou intestinales. Selon de récentes métaanalyses, les IPP augmentent le risque de pneumopathie communautaire ou nosocomiale de 27 % et le risque d’infection intestinale à Clostridium difficile d’un facteur 2 à 3. La portée de telles données en termes de santé publique mériterait d’être affinée.
Risque osseux.
En favorisant une diminution de l’absorption intestinale de la vitamine B12 et du calcium, l’hypochlorhydrie induite par les IPP serait susceptible d’augmenter le risque de fracture osseuse. Selon une récente métaanalyse, la prise d’IPP est associée à une augmentation significative du risque de fracture du col du fémur de 31 % et de fracture vertébrale de 56 %. La réalité du phénomène n’est pas certaine, d’autant moins qu’il n’a pas été démontré de lien entre déminéralisation osseuse et prise d’IPP.
Grossesse et allaitement.
Dans une récente étude de cohorte danoise incluant 840 968 naissances, il n’a pas été observé d’augmentation du risque de malformations fœtales pour les femmes ayant pris des IPP au cours du premier trimestre. En fonction des DCI, la prescription d’IPP doit être « évitée » ou se faire « avec précaution ». Quelle que soit la DCI, elle est contrindiquée pendant toute la durée de l’allaitement.
*Service des maladies de l’appareil digestif, hôpital Pontchaillou, CHU de Rennes.
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