Par les Prs Jean-Yves Mabrut * et Patrick Pessaux *
RÉCEMMENT, l’International Study Group of Liver Surgery (ISGLS) a proposé une définition et une classification des complications hémorragiques après hépatectomie (2). Ce groupe d’experts a retenu comme définition de l’hémorragie postopératoire une diminution supérieure à 3 g/dl du taux d’hémoglobine par rapport au bilan postopératoire immédiat et/ou la réalisation de transfusion de globules rouges en postopératoire pour chute de l’hémoglobine et/ou la nécessité d’effectuer une procédure radiologique (embolisation) et/ou une réintervention pour hémostase. Il proposait également une classification de la gravité de l’hémorragie postopératoire
: le grade A correspond au recours à une transfusion jusqu’à 2 CGR, le grade B à une transfusion de plus de 2 CGR et le grade C au recours à une procédure invasive d’hémostase (embolisation ou réintervention). L’intérêt d’une telle classification, facilement applicable en clinique, va permettre de standardiser la gravité des complications hémorragiques dans les séries publiées.
Le contrôle peropératoire de l’hémorragie au cours de l’hépatectomie comporte plusieurs aspects sur lesquels il est possible ou non d’agir.
Le contrôle vasculaire.
1- Le clampage pédiculaire.
Le clampage pédiculaire permet un contrôle efficace des afférences vasculaires artérielles et porte au niveau hépatique. Il permet en théorie une diminution de l’hémorragie peropératoire, mais peut induire, en fonction de sa durée, une insuffisance hépatique par souffrance ischémique. Ce clampage pédiculaire peut être total ou sélectif, continu ou intermittent (habituellement 15 mn de clampage pour 5 mn de déclampage) et peut être précédé d’un préconditionnement ischémique. Dans la méta-analyse de la Cochrane library de 2007 (3-4), il n’était pas mis en évidence de différence significative concernant la mortalité, la morbidité et le risque d’insuffisance hépatique. Il y avait significativement moins de pertes sanguines dans le groupe clampage au prix d’une cytolyse postopératoire plus élevée. Il n’y avait pas non plus de différence significative de mortalité et de morbidité entre clampage pédiculaire sélectif et non sélectif. La réalisation d’un clampage intermittent par rapport à un clampage continu n’augmentait ni le temps opératoire ni les pertes sanguines. Les auteurs proposaient en cas de clampage, la réalisation d’un clampage intermittent.
2- Le contrôle des veines sus-hépatiques.
Le contrôle vasculaire complet du foie par exclusion vasculaire (EVF) est réalisé par un triple clampage pédiculaire et cave inférieur sus- et sous-hépatique. La méta-analyse de la Cochrane library de 2007 (3) ne retrouvait pas de bénéfice quant à la réalisation systématique d’une EVF au cours des hépatectomies. Au cours d’une hépatectomie, une EVF ne doit donc pas être effectuée de façon systématique. Son indication actuelle se limite aux situations pour lesquelles le risque hémorragique est considéré comme important notamment lors de l’exérèse de lésions au contact de la veine cave inférieure et/ou des veines hépatiques. Le contrôle sélectif des veines hépatiques est à privilégier permettant une préservation du flux cave.
Les paramètres hémodynamiques.
Au cours de la section parenchymateuse, il est important d’obtenir une pression la plus basse possible dans les veines hépatiques afin de limiter le risque hémorragique d’origine veineuse. Il est actuellement clairement démontré que la section parenchymateuse doit être idéalement réalisée avec une pression veineuse centrale (PVC) basse afin de limiter l’hémorragie peropératoire, même si cela expose en théorie à un risque d’embolie gazeuse. La coopération entre anesthésistes et chirurgiens est primordiale. L’objectif est de pouvoir travailler à une pression veineuse centrale la plus basse possible, en tout cas inférieure à 5 cm H20. Il faut à tout prix éviter le cercle vicieux suivant en cas de PVC élevée : hémorragie peropératoire, remplissage qui augmente la PVC et aggrave l’hémorragie et les difficultés opératoires et qui oblige à poursuivre le remplissage.
L’intervention est donc menée avec un remplissage vasculaire extrêmement limité dès le début de l’intervention afin d’obtenir des conditions hémodynamiques adaptées au moment de la section parenchymateuse. La ventilation est effectuée avec une pression expiratoire nulle ou faiblement positive. Une hypoventilation, si elle est possible, est réalisée. Certaines équipes ont montré un bénéfice à la réalisation d’une hémodilution. En cas de contrôle insuffisant de la PVC, des vasodilatateurs veineux de type dérivés nitrés peuvent même être utilisés. Le recours à un contrôle vasculaire peut être justifié en peropératoire, mais les sites de clampage auront été idéalement préparés avant la phase de section parenchymateuse afin de limiter l’hémorragie peropératoire.
Dans le cas particulier des hépatectomies par laparoscopie, la pression abdominale après création du pneumopéritoine est élevée et peut dépasser la PVC. Le risque d’embolie gazeuse est important. Cependant le gaz intra-abdominal utilisé (CO2) est rapidement dissous dans le sang si bien que les d’embolies gazeuses symptomatiques sont très rares. Dans ces conditions, il est possible d’opérer avec des veines hépatiques plates et peu hémorragiques en peropératoire. Un bon moyen pour contrôler l’hémostase, en fin d’intervention, est de recréer des conditions de pression favorisant l’hémorragie veineuse : en diminuant la pression d’insufflation abdominale tout en augmentant la PVC (hyperventilation, PEEP).
La qualité du parenchyme hépatique.
La qualité du parenchyme hépatique est un élément déterminant majeur du risque hémorragique peropératoire sur lequel il n’est pas possible d’influer au cours de la résection hépatique. Actuellement la majorité des hépatectomies sont faites sur des foies pathologiques (cirrhose, stéatose, foie de chimiothérapie). Le risque hémorragique est augmenté au cours des hépatectomies sur cirrhose, notamment en cas d’hypertension portale et sur foie post-chimiothérapie.
Les modalités de section parenchymateuse.
Les moyens de section parenchymateuse disponibles sont nombreux et leur utilisation dépend des habitudes des opérateurs. À ce jour, aucune méthode ne peut être considérée comme un standard et le risque de fistule biliaire doit faire partie de l’évaluation de ces différentes techniques.
Les modalités de traitement de la tranche de section par application de produits hémostatiques.
Après la section parenchymateuse, peut-on améliorer l’hémostase de la tranche de section à l’aide de produits hémostatiques spécifiques ? Certains produits hémostatiques permettent un gain de temps sur l’hémostase initiale de la tranche de section parenchymateuse, mais aucun bénéfice en terme de morbidité n’a pu être mis en évidence. Dans ces conditions l’application de produits hémostatiques sur la tranche de section parenchymateuse ne peut être recommandée de façon systématique et leur utilisation doit être limitée lorsque l’hémostase est difficile à obtenir.
* Service de chirurgie digestive et de transplantation hépatique, hôpital de la Croix-Rousse, Lyon.
** Pôle des pathologies digestives, hépatiques et de la transplantation, hôpital Hautepierre, Strasbourg.
Références
(1) Katz et al. Operative blood loss independently predicts recurrence and survival after resection of hepatocellular carcinoma. Ann Surg 2009; 249: 617-623.
(2) Rahbari et al. Post-hepatectomy haemorrhage : a definition and grading by the International Study Group of Liver Surgery (ISGLS) HPB 2011; 13: 528-535.
(3) Gurusamy et al. Methods of vascular occlusion for elective liver resections Cochrane Database Syst Rev 2007.
(4) Gurusamy et al. Vascular occlusion for elective liver resections. Cochrane Database Syst Rev 2009.
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