Soupçonné d’être impliqué dans bien des maladies, le microbiote suscite de nombreux espoirs thérapeutiques. Dores et déjà, la transplantation fécale fait partie intégrante du traitement des infections à C. difficile. Elle est aussi testée dans diverses affections chroniques intestinales, métaboliques et même neurologiques. Mais il reste beaucoup à faire avant que cela ne débouche peut-être sur des prescriptions de routine.
Effet de mode ou réel espoir scientifique ? Depuis quelques années, les communications sur le microbiote intestinal ont le vent en poupe. Études, revues de la littérature, congrès, etc. : la tendance dépasse aujourd’hui la gastro-entérologie et de plus en plus de spécialités lorgnent de ce côté. Si cet engouement témoigne probablement d’un certain effet de mode, comme l’ont reconnu les intervenants des premières journées du Groupe Français de Transplantation Fécale (GFTF, 16 juin 2017), il reflète aussi l’importance de cet écosystème suspecté d’intervenir dans de nombreuses pathologies.1 à 2 kg de bactéries
Défini comme l’ensemble des micro-organismes qui colonisent le tube digestif, le microbiote compte près de 1014 bactéries. Soit chez un homme en bonne santé pas moins de 1 à 2 kg de bactéries !
La composition de cette flore particulière est spécifique à chaque individu mais varie en fonction du temps. Les bébés étant stériles à la naissance, la colonisation du microbiote a lieu dans la petite enfance. « Entre 6 mois et 3 ans, on acquiert la composition du microbiote qui perdurera jusqu’à l’âge adulte, puis celui-ci perdra de sa vivacité avec le vieillissement », explique Patricia Lepage (INRA). Cet écosystème complexe ne comporte pas uniquement des bactéries mais aussi des virus, des archées, des champignons ou des helminthes. Il diffère en fonction de l’alimentation mais aussi des gènes. Ainsi, « les jumeaux présentent un microbiote bien plus proche que des frères et sœurs non jumeaux », décrit la chercheuse.
Longtemps délaissé par le monde médical, le microbiote est désormais considéré comme « un nouvel organe » à part entière, doué d’une activité métabolique qui lui est propre. Certaines bactéries ont aussi un effet activateur sur le système immunitaire alors que d’autres, au contraire, ont un rôle modérateur, créant ainsi un équilibre.
De la dysbiose à la pathologie
Divers événements, comme la prise d’antibiotiques par exemple, peuvent avoir un impact sur la composition du microbiote, créant un déséquilibre ou dysbiose. Heureusement, on constate un phénomène de résilience : « Au bout de deux mois, la diversité de l’écosystème est restaurée à près de 90 % ». Mais que se passe-t-il quand la dysbiose perdure ?
Des liens ont été montrés entre un déséquilibre de la flore intestinale et les MICI. « On observe une perte de cohésion de l’écosystème chez les personnes atteintes de la maladie de Crohn », indique Patricia Lepage. Chez ces patients, on remarque une diminution de la quantité de certaines bactéries (les Firmicutes) et la prolifération d’autres (les Gammaproteobacteria).
En dehors des maladies intestinales, le microbiote pourrait être impliqué dans des pathologies immunitaires, neuropsychiatriques ou dans des troubles métaboliques. Par exemple, des études sur la souris ont montré que la susceptibilité à l’athérosclérose se transmet d’un rongeur à l’autre via le microbiote (Gregory et al., JBC, 2014). Chez l’homme, d’autres travaux ont montré que la production de TMAO, un métabolite issu de la phosphatidylcholine alimentaire, était dépendante de la flore intestinale (Tang et al. NEJM, 2013). Or, un lien a été établi entre taux de TMAO et évènements cardiovasculaires. Ainsi, « en fonction du microbiote, le risque d’athérosclérose est variable ».
L’écosystème intestinal semble aussi incriminé dans certains troubles neuropsychiatriques. « Cela peut paraître un peu extravagant, souligne le Pr Harry Sokol (hôpital Saint-Antoine, Paris), mais on connaît maintenant les grandes connexions nerveuses qui existent entre l’intestin et le cerveau ». Un exemple paru récemment (Rothhammer et al., Nature Medicine 2016), montre que le tryptophane est métabolisé par le microbiote en dérivés Indoles qui, après avoir été modifiés par le foie, peuvent atteindre les astrocytes où ils vont par réaction en chaîne inhiber l’inflammation cérébrale. « Ces auteurs ont donc démontré un rôle potentiel dans la sclérose en plaques », commente le spécialiste.
Le microbiote comme biomarqueur ?
En marge de son potentiel thérapeutique, le microbiote pourrait aussi être utilisé comme biomarqueur. Plusieurs études suggèrent en effet qu’il pourrait subir des altérations à même de prédire la survenue d’une maladie, voire de la diagnostiquer, avant même que l’on puisse percevoir des altérations immunologiques, métaboliques ou cliniques. Le microbiote pourrait aussi avoir un intérêt comme facteur pronostique de l’évolution de la maladie ou de la réponse au traitement.
Le boum de la transplantation fécale
Bien que le microbiote semble à présent impliqué dans de nombreuses pathologies, il reste une cible thérapeutique en cours d’exploration.
Pour l’instant, il est utilisé comme traitement curatif essentiellement dans les infections à Clostridium difficile (ICD) multirécidivantes pour lesquelles la transplantation de matière fécale (TMF) est recommandée depuis 2014. Dans ce cadre, « la TMF est considérée comme un médicament », explique le Dr Frédéric Barbut (Institut pasteur).
Les ICD sont caractérisées par une forte propension à la récidive (25 % après une infection initiale et 45 % après une première récidive) liée à la persistance de spores du parasite, mais aussi à un déséquilibre du microbiote. Chez un patient en contact avec des spores du pathogène, la dysbiose peut favoriser son implantation « et faire le lit de l’infection ». Ensuite, le traitement de l’ICD par antibiotiques maintient le déséquilibre de la flore, d’où les récidives. « En injectant un microbiote sain, on met fin à ce cercle vicieux », indique l’expert.

Ceux-ci sont en effet variables. Par voie haute, on peut recourir à la sonde nasogastrique ou nasojéjunale ou aux gélules qui ont un intérêt certain, surtout lorsque plusieurs TMF sont requises. Par voie basse, c’est généralement par coloscopie ou poche à lavement. « Le problème des lavements, c’est la nécessité pour les patients de les garder suffisamment longtemps », modère le Dr Tatiana Galpérine (CHRU de Lille). Autre point intéressant, « on n’observe pas de différence significative avec des selles congelées », souligne la chercheuse. Or, pouvoir stocker la matière première sans endommager le microbiote est un des défis du procédé.
Les recherches doivent aussi se poursuivre au niveau des effets secondaires sur le long terme. « La cohorte Cosmic va bientôt débuter », annonce le Dr Caroline Trang-Poisson (CHU de Nantes). Celle-ci va suivre des patients, mais également les donneurs pendant trois ans après la TMF.
Un autre enjeu sera de structurer les procédures. « Il n’y a pas de banques de selles en France, explique le Pr Sokol. Quand un centre veut faire de la transplantation fécale, il doit donc organiser la logistique tout seul. Ce qui est relativement lourd, alors que cette activité n’est pas valorisée pour le moment. »
Au-delà de C. difficile ?
Hormis les infections récidivantes à C. difficile, de nombreux essais cliniques sont en cours pour estimer l’efficacité potentielle des TMF dans d’autres pathologies intestinales. L’une des plus étudiées reste la rectocolite hémorragique (RCH), pour laquelle trois essais cliniques randomisés ont été réalisés « avec des résultats un peu contradictoires et surtout des méthodologies très différentes », signale le Dr Mosca (CHU Robert-Debré, Paris). Le plus récent (Paramsothy S., Lancet, 2017) montrait une efficacité vs placebo, mais aussi un effet donneur car sur les neuf patients en rémission, sept avaient reçu les selles de la même personne. En revanche, une étude antérieure (Rossen NG., Gastroenterology, 2015) ne révélait aucune différence significative par rapport au placebo.
Concernant la maladie de Crohn, une méta-analyse regroupant des essais ouverts avait montré environ 60 % de rémission (Colman J., Crohns Colitis, 2014). De même, une série de cas rapportés « donne des résultats plutôt encourageants sur le syndrome de l’intestin irritable », évoque l’expert.
Des données sur des pathologies autres qu’intestinales ont également été recueillies, notamment en hépatologie pour laquelle un essai clinique sur l’encéphalopathie hépatique a montré l’intérêt de la TMF, avec là encore un effet donneur, (Jasmohan S., Hepatology, 2017). « C’est une piste à explorer », commente le praticien.
Au niveau des maladies neurologiques, une étude ouverte récente (Kang et al. Microbiome, 2017) a inclus des enfants autistes souffrant de troubles digestifs. Si des progrès au niveau comportemental ont été observés à la suite d’une amélioration des symptômes intestinaux, « le protocole était particulièrement lourd » avec des transplantations quotidiennes pendant huit semaines. Au niveau de la SEP, des séries de cas rapportés montraient une amélioration des symptômes, « des données à la fois séduisantes mais qui suscitent des interrogations », d’autant plus si elles proviennent pour beaucoup de la même équipe australienne (Borody and col.).
Au-delà de l'enthousiasme, ces travaux soulèvent beaucoup de questions. Pour y répondre, 40 essais cliniques sur les MICI sont en cours dans le monde, ainsi que 95 autres portant sur d’autres pathologies. Sept essais sur l’obésité, cinq sur le diabète, sept sur les troubles métaboliques, six sur les pathologies neurologiques… le microbiote n’a pas dit son dernier mot ! Mais, pour le moment, « à part C. difficile, tout cela reste du domaine de la recherche, insiste le Pr Sokol, et, en dehors de cette indication, aucune transplantation fécale ne peut être réalisée hors essais thérapeutiques ».