Autisme : des gènes associés retrouvés même en l'absence de diagnostic

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Publié le 13/07/2023
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Crédit photo : S.Toubon

Dans quelle mesure des variants génétiques associés à l'autisme peuvent-ils peser sur les parcours de vie, en particulier chez des personnes non diagnostiquées comme ayant un trouble du spectre autistique (TSA) ? Une étude publiée dans « Nature Medicine » par des chercheurs français (Institut Pasteur, CNRS, Institut universitaire de France, Université Paris Cité et AP-HP) apporte un éclairage inédit, en recherchant en population générale - chez des individus sans diagnostic d'autisme - la présence de variations génétiques connues pour être impliquées dans l'autisme.

« C’est pour tenter de mieux cerner l’architecture génétique de l’autisme – la combinaison de gènes et de variants qui explique son expression – et ce qui module l’intensité de ses manifestations que nous avons entrepris ce travail de fourmi » qui a pris six ans, explique au « Quotidien » Thomas Rolland, chercheur CNRS dans l’unité Génétique humaine et fonctions cognitives de l’Institut Pasteur et premier auteur de l’étude. Pour rappel, c'est au sein de ce laboratoire, dirigé par le chercheur Thomas Bourgeron (dernier auteur de l'étude), que furent découverts il y a 20 ans les premiers gènes associés aux TSA. Depuis, des variations génétiques rares dans plus de 200 gènes ont été identifiées. Ce sont elles qu'ont étudié les auteurs de l'étude. « Nous nous sommes intéressés aux variants rares dans une liste de 185 gènes, bien connus pour être fortement associés à l’autisme ; ce sont des mutations "perte de fonction" : la protéine encodée par le gène est fortement impactée, voire n’est plus fonctionnelle », détaille Thomas Rolland.

Les chercheurs ont comparé les données de séquençage de 13 000 personnes avec autisme (issues des cohortes partenaires Simons Simplex Collection, Simons Powering Autism Research for Knowledge, Lundbeck Foundation Initiative for Integrative Psychiatric Research) à celles de près de 200 000 individus de la population générale (de la UK Biobank) et près de 20 000 parents ou frères et sœurs (non diagnostiqués) de personnes avec autisme.

1 % de la population générale porteuse de variations impliquées dans l'autisme

Résultat : 4 % des individus diagnostiqués autistes portent des variations génétiques fortes impliquées dans l’autisme, et 1,13 % de leurs frères et sœurs ou parents non diagnostiqués. « De façon plus surprenante », selon Thomas Rolland, ces variants se retrouvent chez 0,58 % des individus de la population générale.

L'étude montre qu'une poignée de gènes (SCN2A, CHD8, SYNGAP1, etc.) sont mutés uniquement chez les personnes diagnostiquées autistes, faisant preuve d'une « pénétrance complète » : « porter une mutation dans un de ces gènes est fortement associé à un diagnostic d'autisme ; on n'a jamais vu de variations génétiques perte de fonction dans ces gènes chez les 200 000 personnes non diagnostiquées ».

En revanche, pour la plupart des autres gènes, on retrouve des variations génétiques perte de fonction en population générale. On peut se poser la question : pourquoi certaines personnes vont-elles être diagnostiquées autistes et d'autres non ? « La conjonction d’autres facteurs, génétiques et environnementaux, semble nécessaire pour aboutir à la manifestation d’un trouble autistique », commente Thomas Rolland.

Dans une minorité des cas, ces facteurs sont même à rechercher au niveau de la localisation de la variation génétique au sein du gène : c'est notamment ce qui pourrait expliquer que quelques personnes non diagnostiquées sont porteuses de mutations sur le gène SHANK3 pourtant connu pour être associé à un autisme avec un trouble cognitif important. « L'hypothèse est que selon l’emplacement de la variation génétique dans le gène, on est plus ou moins sévèrement atteint », avance Thomas Bourgeron, interrogé également par « Le Quotidien ».

Association entre variants et paramètres socio-économiques

Les chercheurs ont ensuite regardé si ces variants pouvaient avoir un effet sur les trajectoires des individus. Ils ont croisé ces informations avec quelque 18 000 paramètres médicaux, cognitifs et socio-économiques renseignés chez les individus non diagnostiqués de la UK Biobank. Et de fait, les variations sont associées à une baisse des scores de tests cognitifs, du niveau d'éducation, du salaire moyen et à une diminution des conditions matérielles de vie. « Ces associations sont globalement assez faibles, avec des individus porteurs et peu de différences et d’autres individus avec des niveaux socio-économiques très impactés, mais elles sont très significatives », selon Thomas Rolland.

« Les mécanismes sous-jacents liant les variants génétiques et les différences sociales ou d'états de santé sont complexes : nos résultats ne représentent pas une relation de causalité », lit-on dans l'étude.

Autre observation : les variants génétiques rares associés à un diagnostic sont davantage présents dans les populations de femmes alors qu'en population générale, hommes et femmes ont la même probabilité de porter ces variants, et que chez les patients mutés dans SHANK3, les sexes sont représentés à égalité. Une hypothèse est que la proportion plus importante d’hommes avec autisme serait la conséquence de leur sensibilité plus forte à la présence de variants à effet plus léger par rapport aux femmes. On sait aussi que les femmes sont probablement sous-diagnostiquées pour l’autisme.

Accompagnement global

Enfin, les chercheurs se sont penchés sur les scores polygéniques qui prennent en compte les variants communs que les patients peuvent accumuler dans l'ensemble de leur génome. Il en ressort que les personnes avec un score polygénique d'autisme élevé en population générale ont un niveau de QI et un nombre d’années d'étude un peu plus élevés, mais des salaires moyens et un moindre confort matériel. « Ces personnes peuvent être en difficulté à cause de leur environnement, guère favorable à leur neurodivergence, et non seulement en raison de leur génome », suggère Thomas Bourgeron.

Les chercheurs devraient poursuivre leurs travaux sur de plus amples cohortes (22 000 personnes avec autisme et 400 000 personnes de la population générale), ce qui pourrait permettre d'affiner les liens de causalité, les phénotypes, ou encore de tirer des enseignements à partir de l'imagerie cérébrale.

Thomas Bourgeron insiste sur l'importance de renforcer le travail interdisciplinaire entre chercheurs, généticiens, psychiatres, spécialistes d'imagerie cérébrale et autistes eux-mêmes. « La génétique n'est qu'une facette de ce qu'on peut regarder dans l’autisme. Nous devons avoir une approche globale des personnes pour développer des programmes d’accompagnement efficaces et personnalisés », estime-t-il. C'est l'enjeu du projet international qu'il coordonne, R2D2-MH, financé par la Commission européenne, qui explore les facteurs de risque mais aussi de résilience de l'autisme, et du nouvel Institut hospitalo-universitaire, inovAND, créé à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP), qui vise notamment à harmoniser les parcours de soins et éducatifs.


Source : lequotidiendumedecin.fr