Un jour, sans doute, ceux qui grattent avec passion la terre extrairont d’autres superbes spécimens qui contribueront un peu plus à reconstituer l’histoire de notre lignée. Grâce à l’identification tissulaire, l’homme de la rue comprendra un peu mieux le cheminement algorithmique qui l’a conduit à ce qu’il est. Par ce processus d’élimination, mais aussi par les procréations croisées entre des groupes primitifs qui s’ignoraient et que le hasard des rencontres a conduits à l’affrontement puis à se fusionner.
L’homme pensant est donc composé de deux ou plusieurs parts génétiques en proportion variables qui, concrètement se traduisent pour chacun en une part primitive et une part imaginative. Cette dernière ayant pris le dessus non sans convulsion interne, ce qui n’a pas échappé aux conteurs et philosophes de l’antiquité. Force est de rappeler le mythe prométhéen. Ce héros légendaire qui ose aller affronter Zeus dans son Olympe pour voler le feu – c’est-à-dire l’intelligence – pour compenser la négligence de son frère Epiméthée chargé d’attribuer à chaque créature vivante les attributs de sa condition, omettant de fournir à l’Homme un moyen de défense.
Cette conjugaison obligée du corps et de la raison va désormais occuper l’histoire de l’humanité. Opposition – sur terre – entre désirs et maîtrise de soi, contradiction entre besoin irrépressible d’infini et contraintes quotidiennes. Stoïciens et Epicuriens, Moïse et Jésus, Augustin d’Hippone, Descartes et Pascal, et tous les philosophes qui les ont suivis, ont abondement alimenté l’obsédante question de la séparation ou pas du corps et de l’esprit.
Bataille intérieure
Héritage naturel d’une longue mutation ou don divin ? Quand, tous les matins j’ouvre les yeux, ma première préoccupation est de faire ma toilette et de m’alimenter. Une fois ces petits besoins domestiques satisfaits, alors seulement je commence à devenir Homo Sapiens, libre des contraintes que m’oblige un corps qui se rappelle sans cesse à mon esprit. La question est donc bel et bien, et toujours, ces deux fonctions que nous impose la nature : pensées enchaînées à un corps exigeant ; bataille intérieure que nous devons mener chacun de notre côté, sans savoir à l’avance ce qui finira par prévaloir sur l’autre.
Aurons-nous un cerveau libéré des contraintes domestiques, ou mènerons-nous une vie soumise aux besoins dominants d’un corps toujours plus prégnant ? Spiritualité versus consumérisme ? C’est l’alternative posée par un monde économique toujours plus envahissant. Naturellement, le choix du type d’immortalité, que notre légendaire Ulysse avait eu à décider reste une métaphore toujours d’actualité. Homère – se faisant le messager de la doxa du monde grec antique – avait sagement tranché pour la mémoire des hommes plutôt que l’ennui infini du statut divin. Le rêve d’immortalité réapparaît aujourd’hui sous sa variante technologique : l’intelligence dite artificielle. Va-t-on parvenir à créer un humanoïde égal voire supérieur à l’homme son créateur ? Verra-t-on des circuits électroniques toujours plus performants supplanter le cerveau de Sapiens ? En bref, la construction pas à pas de plusieurs milliards de connexions entre zones corticales de neurones se verra-t-elle coiffée au poteau par un homme augmenté d’une machine fonctionnant à la vitesse de la lumière ?
La culture cellulaire, les transplantations et la congélation d’organes conduiront-elles à une immortalité générée par le seul progrès technique ? Va-t-on vers une société où les relations avec autrui seront basées sur la sensibilité mécanique de capteurs portés directement ou par délégation sur des robots que des privilégiés pourront se payer ? Autant de perspectives malgré tout soumises à un codage génétique mixte : héritage primitif plurimillénaire que les procréations successives ont mélangé à la composante sapiens dominante dédiée à la fonction d’adaptation.
La créature humaine finalisée est donc sous le gouvernement d’un assemblage génétique schématiquement bicéphale avec lequel elle est sommée de composer à tout instant. D’un côté la lourde chape « struggle for life », de l’autre la part légère imaginative. Marquage autant déterminant à l’échelle individuelle que collective : les malheurs de chacun, les mouvements de l’Histoire sont soumis à la carte génétique forgée par le temps. A priori, destin marqué pour se perpétuer, à moins que dans le futur, des manipulations du génome ne bouleversent la donne.
En attendant, ce support génétique bâti sur plusieurs milliards d’années d’évolution est une estampille caractéristique des créatures « primitivus/sapiens » que nous sommes. En d’autres termes le passé et l’avenir de l’Homme sont déterminés par ses gènes. Chacune des deux composantes de cette conjugaison biologique a des effets variant au gré du parcours de chacun et de l’Histoire. Parfois cause de fragilité, parfois cause de sursauts de courage et de lucidité salvatrice. Le spectacle ne s’arrête pas : reculs répétitifs alternés avec des avancées soudaines sont constitutifs de l’espèce humaine. L’imprévisible prévaut. Peut-on interférer sur cette horloge bien huilée ? Sommes-nous sous la dépendance du hasard ou d’une volonté divine ? Ou bien l’Homme seul dans le cosmos, tient-il dans ses mains les clés de son destin ?
* Professeur émérite des Universités
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