Pleins feux sur la microchirurgie du génome

La révolution CRISPR-Cas9

Publié le 26/12/2016
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CRISPR-Cas9

CRISPR-Cas9
Crédit photo : AFP

La « folie CRISPR-Cas9 ». La couverture de Sciences en 2013 illustrait bien la révolution provoquée par la découverte de cet outil génétique appelé plus communément « ciseaux génétiques ».

CRIPSR-Cas9 est en quelque sorte « un logiciel de traitement de texte », selon les termes du Pr Doudna. CRISPR est en réalité le système immunitaire le plus simple chez les bactéries. Converti en outil de modification du génome, il permet d'éliminer et d'ajouter des fractions de matériel génétique avec précision. Cette technologie peut être utilisée pour neutraliser des gènes, en introduire d’autres en vue de créer des modèles animaux, corriger des maladies génétiques mais aussi être utilisée comme un médicament direct. Que ce soit en thérapie humaine avec des perspectives inédites de thérapie génique, de thérapie cellulaire, d’immunothérapie ou dans le domaine de l’agriculture et des biotechnologies, ses applications sont innombrables et son potentiel dépasse même les attentes des scientifiques.

CRISPR-Cas9, les recherches sont lancées

Grâce à CRISPR-Cas9, des gènes défaillants à l'origine de pathologies peuvent ainsi être modifiés voire supprimés, par exemple en intervenant sur les cellules pulmonaires chez des enfants atteints de mucoviscidose, ou sur les muscles de patients souffrant de dystrophie musculaire. Son application en thérapie humaine est envisagée ex vivo ou in vivo. Déjà, la technique a permis de sauver un enfant ayant une leucémie incurable et d’améliorer la vue d'un patient souffrant de rétinite pigmentaire. L'Institut Crick de Londres exploite depuis janvier 2016 la technique pour étudier les gènes en cause dans l'infertilité et les fausses couches. Les National Institutes of Health (NIH) américains viennent d'obtenir un premier feu vert pour un essai d'immunothérapie anticancéreuse. En 2017, CRISPR-Cas9 va faire ses débuts en thérapie somatique avec le lancement d'un essai clinique dans une forme rare d'amaurose congénitale de Leber.

Le premier outil génétique « démocratique »

Si le terme de « folie CRISPR-Cas9 » est si juste c’est parce qu’en plus de ses prouesses techniques, cet outil simple, rapide, extrêmement efficace et peu coûteux relègue au second plan ses prédécesseurs dans la « microchirurgie » du génome comme les nucléases à doigt de zinc (1996) et les TALENs (2010). « C'est la première technique d'édition du génome démocratique », faisait remarquer le Pr Charpentier lors d'une séance exceptionnelle à l'Académie des sciences le 22 avril 2016 à l'occasion du prix L'Oréal-Unesco remis aux co-découvreuses. Une récompense qui s’ajoute à celles déjà reçues, toutes prestigieuses comme le prix Gairdner obtenu lui aussi cette année. Victime de son succès, cet outil révolutionnaire fait peur et en avril 2015, la publication d'un essai chinois sur des embryons humains au moyen de cette technique a cristallisé les craintes. Celles-ci reposent sur son application possible à l'embryon et aux cellules germinales avec les risques d'eugénisme, de « bébé à la carte » et de transmission aux générations futures. Tout en sachant que le risque de mutations « hors cible » n’est pas encore totalement maîtrisé.

Encourager la recherche y compris chez l’embryon

Un sommet international s'est tenu à Washington fin décembre 2015 sans que l'idée d'un moratoire soit retenue. À l’heure actuelle, la convention sur les droits de l'homme et de la biomédecine établie en 1997, dite convention d'Oviedo, est le seul texte contraignant. L’article 13 se réfère aux cellules germinales : toute modification doit profiter à la santé humaine (prévention, diagnostic, thérapeutique) et l'intervention ne doit pas introduire de modification dans le génome de la descendance. L France fait partie des 28 pays qui l’ont ratifié mais ni les États-Unis ni la Grande-Bretagne ou la Chine n'ont signé le texte. La position de certains pays de l'Est reste ambiguë. En France, un consensus relevé par Jean-Yves Le Déaut, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) s’est prononcé début 2016 en faveur d’une recherche la plus large possible, y compris sur l'embryon. Le généticien Jean-Louis Mandel prône l'application de CRSIPR-Cas9 « au cas par cas » et en premier lieu pour des situations tragiques. Ce pourrait être des situations exceptionnelles de transmission de maladie grave monogénique (par ex. chorée de Huntington) ou en cas d'anomalie de l'ADN mitochondrial. En juin 2016, le Comité d'éthique de l'INSERM a réaffirmé les axes proposés en février 2016 suite à la saisine par le Pr Yves Lévy, PDG de l'INSERM. Le Comité a émis 5 types de recommandations : encourager une recherche pour évaluer l'efficacité et l'innocuité de la technique CRIPSR, y compris sur des cellules germinales et de l'embryon ; les effets indésirables du guidage de gènes doivent être évalués dans des laboratoires respectant les règles de confinement, suffisamment longtemps et avec des mesures de réversibilité ; respecter l'interdiction de toute modification du génome nucléaire germinal à visée reproductive dans l'espèce humaine ; participer à toute initiative nationale ou internationale sur la question de la liberté de la recherche et d'éthique médicale, en particulier dans les pays émergents et enfin, attirer l'attention sur la question philosophique de la plasticité du vivant.

Laetitia Vergnac

Source : Le Quotidien du médecin: 9544