Apathie avec perte d'élan ou désinhibition avec impulsivité, la présentation atypique des démences fronto-temporales (DFT), regroupées dans l'entité des dégénérescences lobaires fronto-temporales (DLFT), peut être à l'origine d'une errance diagnostique préjudiciable chez des sujets souvent jeunes.
« L'apparition sur le tard de façon inexpliquée de troubles du comportement chez un sujet parfaitement bien inséré et sans antécédent psychiatrique doit faire penser à une DFT », explique le Pr Bruno Dubois, du centre de référence DLFT et directeur de l'unité de recherche INSERM dédiée aux fonctions du lobe frontal à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM).
Ces démences rares, entre 6 000 à 10 000 cas en France, débutant dans 80 % des cas avant 65 ans, souvent bien avant, sont apparentées à la maladie d'Alzheimer (MA) mais en sont très différentes par leur présentation. Contrairement à la MA, la mémoire est relativement bien préservée dans les débuts et quand les troubles de la mémoire finissent par apparaître, ils sont de nature différente.
Le retard diagnostique lié à la difficulté à repérer le trouble peut avoir des conséquences graves. C'est par exemple le cas d'un patient militaire rayé de son statut de cadre pour faute grave alors qu'il n'était pas responsable. Ou encore d'une femme à l'atrophie frontale majeure qui avait été condamnée pour maltraitance envers ses enfants et dont l'apathie à la sortie de prison a longtemps été mise sur le compte d'une dépression réactionnelle.
Le comportement au premier plan
Les troubles du comportement, qui sont au premier plan dans les DFT, peuvent être de 2 types différents. « Il s'agit le plus souvent d'apathie avec perte de motivation à agir ou à l'inverse de désinhibition avec troubles du contrôle, décrit le neurologue. C'est souvent au moment de la retraite vers 60-65 ans, que le changement apparaît tout à coup et est alors interprété comme une dépression réactionnelle. » Le patient reste toute la journée dans son fauteuil, indifférent, se laissant aller sur le plan de l'hygiène corporelle, mais sans aucune souffrance morale, aucune tristesse, aucune culpabilité. « L'état d'indifférence émotionnelle et affective doit faire évoquer une apathie primaire liée à des altérations neuronales », conclut Bruno Dubois.
À l'opposé, de façon moins fréquente, le changement de comportement s'exprime par un relâchement des conduites sociales. Le patient se met à tutoyer les gens dans la rue, à avoir des gestes déplacés. Ce comportement inhabituel peut fait sourire au début puis inquiète. Le comportement alimentaire devient glouton, impatient, sale, désinhibé en piquant dans l'assiette du voisin. « Un patient est mort étouffé tellement il mangeait vite », se souvient Bruno Dubois. L'impulsivité peut parfois s'accompagner d'agressivité.
Le terme de DLFT employé depuis les années 1990 regroupe les formes comportementales pures (DFT), anciennement maladie de Pick, et l'aphasie progressive classée en 3 types (non fluente, logopénique, sémantique). « On s'est rendu compte secondairement qu'il existait des liens entre les deux, explique le neurologue. Il peut exister des troubles du langage au cours des DFT, et à l'inverse il peut exister des troubles comportementaux associés à des troubles du langage prédominants. L'imagerie a validé cette hypothèse. »
Il existe aussi des formes DFT-SLA, une forme motrice à part, où des signes moteurs de sclérose latérale amyotrophique (SLA) apparaissent au cours de la DFT. « L'inverse est possible, détaille le Pr Dubois. Des troubles du comportement peuvent survenir au cours de la SLA. Un continuum est possible entre les deux maladies, avec un facteur génétique dans 20 % des cas. »
Sur le plan neuropathologique, les DFT se caractérisent par des agrégats de protéines. À l'immuno-histochimie, il peut s'agir de protéines tau, dans 40 % des cas, de protéines TDP-43 dans 50 % ou de protéines FUS.
Clinique + bilan cognitif + imagerie
Le diagnostic repose sur l'association de la clinique, du bilan cognitif et de l'imagerie (IRM, TEP TDM). Les tests neuropsychologiques mettent en évidence des troubles des fonctions exécutives, c'est-à-dire traduisant l'atteinte sélective du lobe frontal. Les capacités de conceptualisation, d'inhibition et de jugement sont altérées lors des tests de fluence verbale de Stroop, du trail-making ou de Wisconsin ou des batteries plus globales (BREF pour batterie rapide d'évaluation frontale, test Mattis).
« Les troubles de la mémoire ne sont habituellement pas du même type que dans la maladie d'Alzheimer, décrit le Pr Dubois. Dans l'Alzheimer, l'atteinte temporale interne touche l'hippocampe, dans les DLFT, l'atteinte temporale reste externe. L'hippocampe n'étant pas atteint, les sujets DLFT sont capables de créer de nouveaux souvenirs. Comme lors du vieillissement, la baisse des capacités frontales se traduit par une difficulté à récupérer les informations. Ils ont du mal à activer les stratégies pour récupérer de l'information mais ils y arrivent facilement avec des indices comme une liste de mots, par exemple. »
La maladie évolue de façon très variable, soit très lente sur 20-25 ans parfois chez des patients apathiques, soit à l'opposé ultra-rapide. « Il n'existe pas encore de médicament qui modifie le processus pathologique, regrette Bruno Dubois. Des anticorps anti-tau sont en cours de développement. »
Une prise en charge spécifique
Dès le diagnostic évoqué, il faut adresser le patient dans le centre de référence ou dans un des 12 centres de compétence en région. Avoir le bon diagnostic permet de mettre en place une prise en charge adaptée. En premier lieu, il s'agit de protéger le patient. L'entourage, familial, professionnel et amical, doit être informé que son comportement inhabituel est dû à une maladie neurologique. Un soutien psychologique permet « d'aider les aidants » à faire face. Une mise en invalidité est nécessaire en cas d'activité professionnelle, et, selon les situations des mesures de protection juridique (curatelle ou tutelle) peuvent être mis en place.
Chez les patients apathiques, « des stimulants motivationnels, comme les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) peuvent être utiles mais les effets sont vite limités par les altérations neuronales majeures, précise le Pr Dubois. Les thymorégulateurs de type Tégrétol ou Dépakine, peuvent aider à émousser l'irritabilité et l'agitation. En cas de comportement très agressif, les neuroleptiques de nouvelle génération peuvent être utilisés mais avec une grande prudence. »
La tolérance de l'entourage est mise à l'épreuve par les conduites inappropriées, les déambulations incessantes, l'incontinence sphinctérienne. Quand la situation n'est plus compatible avec un maintien à domicile, le placement en institution relève du parcours du combattant. Seuls certains EHPAD acceptent des sujets jeunes si leur comportement le permet. « Il existe très peu de structures d'accueil pour les démences du sujet jeune, parfois loin du domicile familial », explique Bruno Dubois. Quelques structures existent, comme le centre médical des Monts de Flandre à Bailleul ou deux résidences dédiées à l'accueil des sujets jeunes, l'une à Cesson et l'autre près de Grenoble.
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