Une remise en cause des pratiques au cours de la grossesse et de l’accouchement

La bientraitance, ce mot qui a fait mal

Par
Publié le 30/06/2020
Article réservé aux abonnés
Le débat lancé par certaines femmes sur la « violence obstétricale » a été très mal vécu par la profession. Une fois passé le choc, il a fallu décrypter comment on en était arrivé là et quelles solutions mettre en œuvre.
La dépression post-partum est devenue la complication la plus fréquente de la grossesse

La dépression post-partum est devenue la complication la plus fréquente de la grossesse
Crédit photo : phanie

« Ces cinq dernières décennies, tous les acteurs et actrices de la périnatalité ont si bien travaillé qu’il n’y a quasi plus de grossesses qui ne soient pas suivies et les accidents lors de l’accouchement sont devenus très rares. Les problèmes médicaux étant bien maîtrisés, le vécu et les émotions sont passés au premier plan. Au XXIe siècle, nous ne pouvons plus nous contenter d’un simple “la mère et l’enfant vont bien”, c’est trop restrictif », explique la Dr Amina Yamgnane, cheffe de service de la maternité de l’hôpital américain de Paris et présidente de la Commission de promotion de la bientraitance en maternité au Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).

En réponse aux plaintes des femmes, le CNGOF a décidé de monter une commission sur la bientraitance. « C’est bien notre savoir être et non notre savoir-faire qui est aujourd’hui remis en question, poursuit la Dr Yamgnane. Pour l’améliorer, nous avons travaillé avec les usagères au sein de cette Commission et avec plusieurs représentants des professionnels : gynécologues obstétriciens, sages-femmes, anesthésistes, pédiatres, psychologues, du privé, du public, de l’Île-de-France et de régions, afin d’en tirer des leçons communes ».

Le vécu partie intégrante du dossier d’accouchement

Ce qui ressort déjà de la concertation autour de l’accouchement : « Le vécu des patientes venant d’accoucher et celui des accouchements précédents doit pouvoir être inscrit dans le dossier de nos patientes (compte rendu de vécu d’accouchement). Cela suppose de refaire les dossiers de suivi de grossesse en tenant compte de la trajectoire de la famille : l’attente des parents par rapport à la grossesse, l’accouchement. L’Association des utilisateurs de dossiers informatisés en périnatalogie obstétrique et gynécologie (Audipog) va s’occuper de réviser le dossier de suivi de grossesse », indique la Dr Yamgnane.

Se posent aussi les questions de la formation des professionnels sur le langage verbal et non verbal, les moyens à mettre en œuvre pour arriver à une confiance mutuelle et partagée, la possibilité de permettre aux parents de prendre du temps avec un professionnel avec qui faire alliance pour comprendre sur quelles forces s’appuyer et quels écueils éviter. C’est tout l’enjeu de l’entretien prénatal précoce, qui a vocation à être obligatoirement proposé à tous les couples qui attendent un enfant.

Le stress post-traumatique doit être pris en charge

Les dépressions du post-partum touchent les femmes au moins six semaines après la naissance, alors que la visite post-partum a déjà eu lieu. Ce sont donc les sages-femmes, les généralistes, les pédiatres et les PMI qui voient ces femmes. « L’an dernier, 42 femmes sont décédées d’une hémorragie de la délivrance, contre 63 par suicide des suites de la dépression du post-partum. Cette dernière représente donc désormais la complication la plus fréquente de la grossesse : la question de l’information et de la formation des professionnels à la réalité de ce que sont les difficultés maternelles, leur dépistage et leur traitement, devient donc cruciale. Elle doit passer par un suivi prolongé et un meilleur lien entre les acteurs du champ périnatal », insiste la Dr Yamgnane.

Si la plupart des causes de dépressions du post-partum sont bien étudiées, ce n’est pas le cas de l’impact du stress post-traumatique dans le champ périnatal. « Les facteurs de vulnérabilité sont des antécédents de violence, de deuils périnataux, d’autres enfants porteurs de handicap, des antécédents psychiatriques, des addictions, le très jeune âge ou le très grand âge de la mère, la migration, l’infertilité avec don de gamètes, les accouchements traumatiques ou les mauvais vécus. Chez les femmes qui ont eu une césarienne non programmée, on compte jusqu’à 30 % de stress post-traumatique. Il n’y a plus d’autre choix que de s’en préoccuper ! », insiste la Dr Yamgnane.

Quand toutes ces questions auront été mises à plat, elles devront être mises au programme de l’internat et il faudra former les professionnels actuels via la FMC, mais sous quelle forme ? « Peut-être un support numérique et des jeux de rôle. Il s’agit d’un travail de longue haleine », conclut la Dr Yamgnane.

Exergue : C’est notre savoir être et non notre savoir-faire qui est aujourd’hui remis en question

Entretien avec la Dr Amina Yamgnane, cheffe de service de la maternité de l’hôpital américain de Paris et présidente de la Commission de promotion de la bientraitance en maternité au CNGOF

Dr Nathalie Szapiro

Source : lequotidiendumedecin.fr