« L’absence de consensus bénéficie toujours au patient » : ainsi s’achève une réunion composée de médecins et de soignants, dans le documentaire « Soigner à tout prix » d’Ilan Klipper diffusé sur Arte, sur le suivi des patients Covid à l’hôpital parisien Bichat. L’entrevue opposait les participants à propos d’un cas grave en réanimation.
D’après un médecin, il y avait lieu de persévérer : « il y a encore des choses à tenter ». Il avait l’air d’être le seul à le penser. D’après l’un de ses confrères, le patient ne vivrait pas longtemps, et mal, à cause de l’atteinte pulmonaire. Que faire quand un consensus sur la poursuite des soins n’est pas atteint ? Comment juger de l’obstination déraisonnable ? « Le Quotidien » a mené l’enquête auprès des acteurs de terrain.
Cette sentence, « l’absence de consensus bénéficie toujours au patient », est souvent formulée dans les services de médecine intensive pour annoncer que le malade sera maintenu en vie, faute de concordance dans l’équipe. Mais elle ne fait pas l’unanimité. « Elle a l’air d’annoncer quelque chose de positif pour le malade. Mais s’il s’agit de poursuivre des traitements inappropriés, cela peut être très dommageable », objecte le Pr Jean Reignier, chef du service de médecine intensive et de réanimation du CHU de Nantes. Le médecin nantais pointe le risque d’un maintien en vie artificiel, potentiellement douloureux et sans espoir.
Redonner une « vie de qualité »
La vie « d’après » la réanimation est un élément très discuté, voire décisif lorsqu’il faut statuer sur un éventuel arrêt des traitements. Pour le Covid-19, comme pour toutes les pathologies. « Le but de la réa n’est pas de prolonger la vie à tout prix, mais de redonner une vraie vie de qualité », précise le Pr René Robert, chef du pôle urgence-réanimation-anesthésie du CHU de Poitiers. En atteste l’histoire d’une jeune femme handicapée moteur, admise en réanimation voici quelques semaines au CHU de Brest, après hésitation. « Ça ne s’est pas bien passé ensuite », soupire la Dr Anne Renault, réanimatrice médicale ou intensiviste. Il est apparu évident à l’équipe qu’en persévérant, son handicap déjà lourd serait aggravé : la décision de l’arrêt thérapeutique s’est alors imposée à tous, y compris à la famille.
« Lorsqu’il y a débat dans l’équipe, il porte plutôt sur la perception de la qualité de vie future du malade, abonde le Pr Antoine Vieillard-Baron, chef du service de médecine intensive-réanimation de l’hôpital Ambroise-Paré à Boulogne-Billancourt. S’il est âgé, l’équipe diverge de temps à autre. » L’indécision peut régner un certain temps. Si la durée médiane au bout de laquelle se décide l’arrêt de réanimation se situe entre six et huit jours pour les patients Covid-19, leur séjour en réanimation peut durer quelquefois des semaines. « Nous avons fini par "perdre" des patients, après un long séjour en médecine intensive », déplore la Dr Renault. L’équipe estime parfois qu’elle a fait subir au malade un certain acharnement, en vain. « L’issue peut être catastrophique. Il arrive de se dire que la personne n’aurait même pas dû être admise en réa », confie le Pr Vieillard-Baron.
Dans certaines histoires, l’indécision profite pourtant au patient. Comme à cet agriculteur de 77 ans, arrivé au CHU de Saint-Étienne atteint du Covid. Après deux mois et demi de réanimation et de multiples complications, sa maigreur était devenue extrême. « Nous avions mis en place des limitations dans les traitements, relate le Pr Guillaume Thiéry, chef du service de médecine intensive-réanimation au CHU. Nous divergions et sommes passés à deux doigts de l’arrêt thérapeutique. Et il a survécu ! ». Depuis sa sortie, le miraculé, qui a noué des liens avec l’équipe hospitalière, envoie régulièrement des photos sur son tracteur ou en train de jardiner.
Enquête sur la vie du patient
« Les éléments biomédicaux comptent, mais ne sont pas suffisants pour déterminer l’issue des soins », précise la Dr Renault. En effet, la dimension éthique prévaut lors de ces échanges, car les patients n’ont pas tous la même répulsion à l’idée d’une vie avec handicap, ce qu’une réanimation a des risques de laisser sur son passage. « La réa est un chantier », insiste la Dr Renault.
Le plus « simple » mais pas le plus fréquent, c’est quand le malade s’exprime à temps. Un jour, un patient Covid-19 est arrivé au CHU de Saint-Étienne en annonçant immédiatement la couleur : « Je ne veux pas être intubé ». Mais la situation n’est pas forcément plus confortable pour les soignants. « Au moment venu, alors qu’il aurait fallu l’intuber au sens strictement médical, raconte le Pr Thiéry, nous l’avons endormi. L’événement a été très douloureux pour l’équipe. »
Le rôle fondamental des soignants
Hélas, en réa, il est souvent impossible de recueillir directement l’avis du malade, endormi ou inanimé. Les soignants font alors jouer un rôle précieux à ses proches, les seuls susceptibles de savoir comment il vivait et aurait souhaité vivre. Dans ce sens, de plus en plus d’hôpitaux intègrent activement aux discussions les infirmier.e.s et aides-soignant.e.s. « Ils. elles passent bien plus de temps que nous, praticiens, avec les malades et les proches, constate le Pr Thiéry, et recueillent au fil du séjour hospitalier une foule d’informations parfois déterminantes pour statuer sur l’obstination déraisonnable. »
Ce sont souvent les infirmier.e.s qui alertent les médecins sur une possible obstination déraisonnable. Pourtant, lorsqu’il s’agit ensuite d’obtenir leur avis en réunion, certains praticiens font état de difficultés. « Tout le monde n’ose pas s’exprimer », relate le Pr Thiéry, qui pointe la timidité, parfois, des aides-soignant.e.s ou même des étudiant.e.s en présence de médecins expérimentés. « Leur avis est complètement légitime. Dans mon équipe, si une seule personne n’est pas ok pour arrêter le traitement, médecin ou pas, la décision est reportée », affirme le chef de service.
L’information circule dans les deux sens : la famille est informée du cheminement thérapeutique dès l’admission. Les médecins ne font pas porter aux proches la décision de l’arrêt des traitements. Toutefois, d’après le Pr Robert, « c’est la théorie. Beaucoup de familles ne peuvent pas s’empêcher de s’approprier un certain poids décisionnel ».
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