Lorsque des patients arrivent aux urgences avec un Covid-19 confirmé ou suspecté, tout l'enjeu est de les orienter vers la prise en charge la plus adaptée. Pour aider les médecins à évaluer la gravité des patients à l'admission, de nombreuses équipes ont développé des tests prédictifs de l'évolution de la maladie. Plusieurs approches sont envisagées, mais à ce jour, il n'existe pas de recommandation précisant lesquelles privilégier.
À Gustave Roussy, par exemple, c'est l'outil ScanCovIA qui est utilisé en routine. Fondé sur un algorithme d'intelligence artificielle, il est le fruit de l'expertise des équipes du centre de cancérologie de Villejuif, de l’hôpital Bicêtre (AP-HP), de la start-up Owkin, de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) et de l'université Paris-Saclay. Une étude parue dans « Nature Communications » (1) décrit la manière dont ce score de sévérité, en libre accès, a été élaboré.
Entre le 20 mars et le 20 avril 2020, près de 1 000 patients Covid pris en charge à Villejuif ou au Kremlin-Bicêtre ont été inclus dans l'étude. Une cohorte de 646 patients de l'hôpital Bicêtre a permis d'entraîner l'algorithme, et deux autres cohortes – 150 patients de Bicêtre et 135 de Gustave Roussy – de le valider.
Un score basé sur l'IA
Le score de gravité sur 100 points permet de classer les patients selon cinq quartiles, le premier équivalant à un risque d'aggravation très faible et le cinquième à un risque très élevé, nécessitant une prise en charge en réanimation. Il s'appuie sur le recours au scanner thoracique 3D ainsi que sur l'évaluation de cinq paramètres cliniques et biologiques. « Ce qui fait la force de cette étude, c'est que nous avions étudié 65 variables pour finalement ne garder que les cinq les plus pertinentes grâce à l'analyse deep learning, souligne la Pr Nathalie Lassau, radiologue à Gustave Roussy qui a mené ces travaux. L'objectif était d'avoir un outil simple et efficace qui puisse être utilisé en pratique par les cliniciens. »
Les cinq variables retenues sont : le sexe, l'âge, le taux d'urée (un taux important augmente le risque), le taux de plaquettes (une diminution du taux augmente le risque) et la saturation en oxygène. « La saturation en oxygène, mesurée à l'aide d'un oxymètre, est un paramètre extrêmement important pour prévoir une décompensation. Certains patients ne se rendent pas compte qu'ils sont mal oxygénés », précise la radiologue.
Comparé à onze autres scores, ScanCov-IA s'est révélé être le plus pertinent pour prédire le devenir des patients. « Dès que le patient arrive, notre score de gravité permet en quelques minutes de savoir si le patient peut rentrer chez lui ou s'il doit aller en réanimation », explique la Pr Lassau.
Parmi les autres scores, certains n'ont pris en compte que l'imagerie et pas la clinique et inversement. « Avec l'IA, on peut désormais agréger toutes les données, qu'elles soient cliniques, biologiques ou d'imagerie, souligne-t-elle. C’est essentiel de prendre en compte l'ensemble de ces données, car le Covid est une maladie très complexe qui implique une approche globale du patient. »
Un outil pour orienter en ambulatoire
Au CHU d'Angers, un outil différent a été développé et adopté par tous les centres impliqués dans l'étude qui a permis sa mise au point. « Nous avons souhaité développer une approche permettant de définir quels sont les patients qui peuvent être traités en toute sécurité à domicile. Initialement, il ne s'agissait pas à proprement parler d'un score prédictif d'aggravation, relève la Dr Delphine Douillet du département de médecine d’urgence du CHU d’Angers. Courant mai 2020, nous avons ainsi élaboré un consensus national d'experts selon la méthode Delphi, ce qui nous a permis d'obtenir une règle simple que l'on a appelée HOME-CoV. » Cette règle, décrite dans « Internal and Emergency Medicine » (2), se décline en huit items (outil en libre accès).
Une étude prospective menée dans 34 services d'urgence en France, en Belgique et à Monaco a permis d'évaluer cette règle. Au total, 3 133 patients avec une infection Covid (confirmée ou probable) ont été inclus en 2020 : 1 763 du 9 au 18 avril avec une prise en charge basée sur le libre choix des médecins, et 1 370 du 21 avril au 11 mai, avec application de la règle. Les résultats ont été publiés dans la revue « Chest » (3).
« Nous avons vu que cet algorithme permet de définir un large sous-groupe de patients qui peuvent être traités en ambulatoire », résume l'urgentiste. Le score permet aussi d'identifier trois sous-groupes selon le risque d'aggravation : faible risque, intermédiaire et à haut risque. De plus, « comparé à d'autres scores/algorithmes prédictifs de l'aggravation dans les infections pulmonaires ou dans d'autres infections, HOME-CoV a une meilleure performance pour prédire l'aggravation jusqu'à 28 jours », poursuit-elle.
Des critères respiratoires, essentiels à intégrer
Une révision du score HOME-CoV a ensuite été réalisée. « Nous avons révisé le score pour l'améliorer, en intégrant l'âge et en retirant des variables non pertinentes comme la tension artérielle ou la fréquence cardiaque », explique la Dr Douillet. Au final, ce nouveau score prend en compte trois paramètres respiratoires - la fréquence respiratoire, la saturation et la capacité à parler sans reprendre sa respiration pendant huit secondes (réserve respiratoire) -, l'âge, la confusion, les comorbidités et les conditions de vie inadéquates (précarité, isolement médical…). Chacun des items compte pour un point. Une étude de validation du score révisé a été menée dans 36 centres français auprès de 1 445 patients. Le suivi s'est terminé en juin, et les résultats n'ont pas encore été publiés.
« Ce type d'outil est important, car on se rend compte que le jugement clinique est parfois mis en défaut, surtout dans les moments où nous sommes surchargés et où il y a une tendance à surhospitaliser plutôt que l'inverse », estime la Dr Douillet, ajoutant que les critères respiratoires sont essentiels à prendre en compte.
(1) N. Lassau et al., Nat Commun, 2021. https://doi.org/10.1038/s41467-020-20657-4
(2) D. Douillet et al., Intern Emerg Med, 2020. doi: 10.1007/s11739-020-02483-0
(3) D. Douillet et al., Chest, 2021. doi: 10.1016/j.chest.2021.05.008
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