« En mars, on manquait de masques, en octobre, on manque d'enthousiasme. » Cette formule résume la lassitude qui habite le président de la Société de réanimation de langue française, le Pr Éric Maury, lors de son audition par la mission du Sénat d'évaluation des politiques publiques de réponse aux pandémies. À l'heure où les réanimations se remplissent rapidement de patients atteints par le Covid, les prévisions des spécialistes sont sombres.
« L'hôpital est dans une situation de pénurie de personnel médical et non-médical et de médecins réanimateurs, alerte le chef de service d'anesthésie-réanimation de l'hôpital Nord de Marseille (AP-HM), le Pr Marc Leone. La montée de la deuxième vague s'est faite sans préparation avec un personnel à peine remis de la première vague. »
Confronté aux annonces gouvernementales sur la capacité du pays à armer 12 000 lits, le Pr Hervé Bouaziz, président de la Société française d'anesthésie-réanimation, a été très clair : « Il y a les lits, le matériel, les scopes, mais on a des problèmes de personnel. En mars et avril, on avait pu bénéficier de la solidarité nationale et des professionnels venus nous aider. Là, ils ne reviendront pas, c'est très clair. » Le Pr Bouaziz précise en outre qu'au-delà des 30 % de lits occupés par les patients atteints de Covid-19, l'ensemble des autres lits sont pris par des patients non-Covid, soit un taux d'occupation des lits de réanimation français proche de 100 %.
Les services de réanimation sinistrés
Les spécialistes ont douché un à un tous les espoirs des sénateurs. Selon les chiffres donnés par le Pr Maury, il ne sera pas possible d'aller au-delà des 5 700 lits de réanimation actuels, répartis entre 900 lits de réanimation médicale et 3 200 lits de réanimation pour polytraumatisés. « Il faut 9 équivalents temps plein pour 12 lits de réanimation, précise-t-il. 500 lits sont actuellement fermés faute de personnel. Il manque 2 710 spécialistes en médecine intensive et réanimation (MIR) et 2 420 anesthésistes réanimateurs. Nous avions fait une enquête qui avait conclu qu'il était nécessaire de créer 130 postes par an. Quand les formations ont été mises en place, on nous en a promis 120 puis cela a été ramené à 60. »
Impossible d'augmenter les capacités d'accueil sans déprogrammer la chirurgie ? « On ne peut plus faire de déprogrammation, avertit le Pr Maury. Nos patients semi-urgents au début de l'année sont devenus des patients urgents. »
De plus « la pandémie est désormais nationale, on ne peut plus transférer des personnels d'une région à l'autre », poursuit-il. Quant à mobiliser des personnes d'autres services pour armer de nouveaux lits, c'est une solution qui a ses limites. « La médecine intensive réanimation est une spécialité complexe, rétorque le Pr Maury. Un infirmier de réanimation n'est pas un infirmier de salle ou de bloc opératoire qui ont leurs propres compétences. »
Une amélioration à la marge de la prise en charge
Ces déclarations sont d'autant plus inquiétantes que la nature des patients et leur durée d'hospitalisation n'ont que peu changé depuis avril. « On utilise plus souvent qu'avant l'oxygénation à haut débit, mais une fois en réanimation, les durées d'hospitalisation restent prolongées », témoigne le Pr Léone qui reconnaît « quelques petits progrès, avec la dexaméthasone » qui ne sera pas, selon lui, « une révolution qui fait que l'on ne va plus mourir en réanimation ».
« Au SAMU centre 15, on assiste à une augmentation des appels de patients plus jeunes avec des formes parfois graves. Ils n'ont pas besoin d'aller jusqu'à la réanimation mais ils occupent quand même des unités de médecine qui manquent pour adresser les patients non-Covid, complète le Dr Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence. On a publié depuis très longtemps que la surcharge des services d'urgence augmente la mortalité de 9 %, tous patients confondus et de 30 % pour les patients les plus graves. »
Situation de pénurie depuis 20 ans
Plusieurs sénateurs se sont étonnés de l'absence de mesures prises depuis le déconfinement pour augmenter les capacités en réanimation. « Je ne comprends même pas que vous soyez surpris, réagit sans ménagement le Pr Léone. En trois mois, on ne peut pas changer une situation pérennisée depuis 20 ans. Nous sommes dans une situation de pénurie. À Marseille, il manque 30 anesthésistes-réanimateurs pour de la chirurgie courante. La solution n'est pas de prendre des médecins anesthésistes réanimateurs pour en faire des spécialistes en médecine intensive réanimation. Il faut augmenter tout le monde ! L'attractivité du privé est immense. On forme nos propres concurrents. »
Le Pr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France confirme : « On a fait une erreur fondamentale de fermer l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris. L'équation qu'on a portée ces 30 dernières années a poussé l'hôpital public dans un sens d'économie de santé et d'efficience. » Le Pr Pelloux plaide pour la disparition des verrous bloquant la rémunération des personnels hospitaliers.
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